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équitable et conciliante de M. Hayes avait ramené le calme dans les anciens états confédérés : n’objecterait-on pas à la candidature de Grant qu’elle ferait appréhender aux populations du Sud le retour d’un régime dont elles avaient eu de justes sujets de se plaindre ? Il importait d’être fixé sur les sentimens de ces populations. Plusieurs mois devaient encore s’écouler avant la réunion de la convention préparatoire qui désignerait le candidat du parti républicain : sur le conseil de ses amis, Grant s’éloigna de nouveau; traversant la Géorgie et les deux Carolines, il alla s’embarquer à Charleston pour La Havane; il passa de Cuba au Mexique, d’où il revint par le Texas, le Mississipi, la Louisiane, l’Alabama et le Tennessee, parcourant ainsi, soit à l’aller, soit au retour, tous les états du sud, à l’exception de la Floride. Partout, les noirs lui firent des ovations, comme à leur véritable libérateur, et les blancs l’accueillirent avec empressement et respect. Le général ne se départit point de son laconisme habituel, mais les petits discours qu’il prononça ne furent point dépourvus d’habileté : il s’en tint à recommander à tous la concorde, le travail et l’oubli du passé ; il fit à l’occasion l’éloge de la bravoure de ses anciens adversaires du sud, et il ne fit allusion à sa propre administration que pour se féliciter de voir les mesures d’exception rendues inutiles par le rétablissement de la bonne harmonie entre les citoyens.

A l’issue de ce voyage, trois des membres les plus considérables du parti républicain, les sénateurs Cameron, Conkling et Logan, posèrent ouvertement la candidature de Grant ; mais ils rencontrèrent une hostilité déclarée chez le ministre des finances, M. Sherman, et chez M. Blaine, qui visaient, tous les deux, à la présidence, et chez quelques autres candidats plus obscurs. Le 2 juin, à la convention de Chicago, il ne manqua au général Grant qu’environ 60 voix sur 756 votans pour avoir la majorité absolue, dès le premier tour : après une longue série de scrutins pendant lesquels ses partisans lui demeurèrent obstinément fidèles, les adversaires de sa candidature se concertèrent pour porter leurs voix sur le général Garfield, qui n’avait même pas songé à se mettre sur les rangs, et lui firent obtenir la majorité absolue. Grant accepta sa défaite avec bonne grâce et donna son adhésion sans réserve au choix qui avait été fait. Ses amis eurent plus de peine à se résigner et ne dissimulèrent point leur désappointement. Leur abstention aurait gravement compromis le succès du candidat républicain : le sort de l’élection dépendait donc de Grant, et de grands efforts furent faits auprès de lui pour obtenir son intervention en faveur de M. Garfield. Fidèle à la discipline de son parti comme il l’avait été à la discipline de l’armée, Grant consentit à assister à un certain