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peuple que de supposer que rien de semblable soit possible. Tout homme peut ruiner ses chances pour la présidence, mais personne ne peut imposer son élection ni même sa candidature. ... Pour me résumer, je ne prétends pas et je n’ai jamais prétendu à une réélection. Je n’accepterais une candidature, si elle m’était proposée, qu’autant que les circonstances seraient telles qu’elles me feraient un devoir impérieux de l’accepter, circonstances qui ne paraissent pas devoir se produire. »

Cette lettre était écrite en mai 1875, c’est-à-dire près d’une année avant l’époque à laquelle le parti républicain devait faire choix de son candidat, et dix-huit mois avant l’élection elle-même. Elle n’était pas faite pour décourager les promoteurs d’une troisième élection; car elle laissait clairement entendre que si Grant n’osait ou ne voulait pas poser lui-même sa candidature, il était prêt à se laisser forcer la main ; mais après les procès d’Avery, de Babcock et de Belknap, rien de semblable n’était possible. L’opinion publique réclamait hautement de profondes modifications dans le personnel administratif : les ambitieux du parti républicain, las de se voir barrer le chemin du pouvoir par une personnalité aussi considérable et par son entourage, étaient les premiers à insister sur la nécessité d’un changement. Aussi lorsque la convention républicaine se réunit à Cincinnati, le 14 juin 1876, le nom de Grant ne fut même pas mis en avant ; mais ses partisans se vengèrent en faisant échouer la candidature de M. Blaine, qui s’était montré le plus hostile aux projets de réélection. Peut-être en écartant Grant de la lutte électorale lui rendit-on service, car personne ne conteste aujourd’hui que M. Hayes ne fut élu que parce qu’on falsifia les votes de l’Orégon, de la Louisiane et de la Floride, et cependant les républicains modérés qui s’étaient prononcés le plus fortement contre l’administration de Grant, s’étaient ralliés à cette candidature.


III.

Le 4 mars 1877, Grant remit à M. Hayes la direction des affaires publiques et s’éloigna de Washington. Il avait passé seize années dans les hautes fonctions de l’état : en quittant la présidence, il ne retrouvait pas le commandement de l’armée. Qu’allait-il devenir? Par quelle occupation satisferait-il son besoin d’activité? Cette question préoccupait les nombreux amis qu’il avait conservés. Ceux-ci persistaient à croire que, chez un peuple respectueux de la tradition, l’obstacle le plus sérieux à sa réélection avait été l’exemple donné par Washington et ses premiers successeurs, qui avaient tous refusé de se laisser réélire après huit années de présidence. On