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fraudes électorales les plus évidentes, et lorsque la population mettait obstacle à l’installation de magistrats illégalement élus, ils la contraignaient à l’obéissance par l’emploi de la force. Le recours à l’autorité du président et, surtout, les plaintes formulées au sein du congrès par les députés du parti démocratique, ne faisaient que provoquer un redoublement de rigueur. Le président considérait toutes les tentatives des populations du Sud pour reconquérir la liberté des élections comme autant d’actes de rébellion contre son autorité. Comme les troubles se multipliaient, il adressa, le 2 mars 1871, un message spécial au congrès pour demander des pouvoirs qui lui permissent « d’assurer dans toutes les parties du territoire l’obéissance à la loi. » Le congrès répondit à cette demande en accordant au président, sous certaines réserves, la faculté de suspendre l’habeas corpus. Dès le 4 mai, Grant publia une proclamation dans laquelle il résumait les dispositions de la nouvelle loi et il ajoutait : « Quelque répugnance que je puisse avoir à user d’aucun des pouvoirs extraordinaires qui viennent de m’être conférés, sauf dans le cas d’une impérieuse nécessité, je regarde, néanmoins, comme mon devoir de faire savoir à tous que je n’hésiterai pas à aller jusqu’au bout du pouvoir dont je suis investi, chaque fois et en quelque lieu que ce soit nécessaire. » L’effet suivit de près la parole : neuf comtés de la Caroline du sud furent soumis à la loi martiale.

La minorité du congrès n’avait pu mettre obstacle au vote des pouvoirs extraordinaires demandés par le président ; mais elle publia, sous la forme d’une adresse au peuple une protestation collective contre le régime qu’on imposait aux populations du Sud : cette protestation fut signée par tous les sénateurs et tous les députés du parti démocratique. Les républicains étaient loin d’approuver unanimement le despotisme militaire que le président faisait peser sur une moitié de la confédération et qui servait, le plus souvent et sans qu’il s’en doutât, à favoriser l’ambition et les convoitises d’intrigans indignes de sa protection ; un certain nombre des plus notables n’hésitèrent pas à manifester publiquement leur désapprobation, quelques-uns même des ministres de Grant refusèrent de le suivre dans la voie où il s’était engagé : en moins de deux années, le cabinet fut presque entièrement renouvelé. Les rangs de l’opposition se grossissaient donc de jour en jour : la presse démocratique commençait à attaquer avec vigueur l’administration de Grant ; elle signalait l’abus que certains personnages faisaient de leur influence ; elle attribuait à de coupables collusions les crédits considérables obtenus du congrès sous prétexte d’améliorer la navigation du Mississipi et de ses affluens, et les subventions énormes accordées pour la construction de chemins de fer à travers des régions presque