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était en contradiction formelle avec les stipulations du traité connu sous le nom de traité Clayton-Bulwer, et il eût donné lieu à de sérieuses difficultés avec le gouvernement anglais, mais il était surtout inspiré par la pensée de faire avorter et de rendre impossible l’exécution du canal de Panama par une compagnie française. Grant ne perdait, en effet, aucune occasion de montrer le peu de sympathie qu’il éprouvait pour la France. Lorsque la guerre de 1870 éclata, il ne se borna pas à publier une déclaration de neutralité où les devoirs des citoyens américains à l’égard des belligérans étaient spécifiés, il adressa au roi Guillaume des télégrammes de félicitations pour les succès des armées allemandes, et lorsque les Français établis aux États-Unis et des Américains, sympathiques à notre pays, voulurent ouvrir une souscription et former des compagnies de volontaires pour venir au secours de la France, il lança contre les auteurs de ce projet une proclamation conçue dans les termes les plus durs et les plus menaçans et prescrivit à leur égard les mesures les plus sévères.

C’est dans la direction des affaires intérieures que les actes du président donnèrent le plus de prise à la critique. Quelques faits feront juger de l’esprit qu’il y apportait. Pendant la guerre civile, le congrès avait attribué au papier-monnaie, émis par le gouvernement fédéral, le caractère de legal tender, c’est-à-dire qu’il l’avait déclaré recevable comme espèces par les caisses publiques et les particuliers... Cette disposition était-elle applicable aux contrats conclus avant la guerre et qui stipulaient expressément des paiemens en espèces? Les plus hautes autorités en cette matière, et le président de la cour suprême, M. Chase, étaient d’avis que la loi ne pouvait avoir d’effet rétroactif : Grant fut d’un avis contraire. La cour suprême, dans un procès, rendit un jugement contraire à son opinion ; mais, deux sièges à cette cour étant devenus vacans, Grant prit soin d’y nommer deux magistrats dont il connaissait les sentimens, et une nouvelle décision renversa la première et fixa la jurisprudence. Singulière conduite de la part d’un président qui, dans ses messages annuels, ne manquait jamais de recommander au congrès la reprise des paiemens en espèces ; mais Grant ne supportait pas la contradiction, et il voulait introduire dans la vie civile et jusque dans l’administration de la justice les règles de la discipline militaire. Le calme et la résignation qu’il s’était plu à constater lors de son inspection de 1867 avaient cessé de régner dans les états du Sud. La population blanche, opprimée et pressurée, essayait de réagir contre l’intrusion des aventuriers du Nord, qui s’étaient emparés de toutes les fonctions : ceux-ci ne reculaient devant aucun moyen pour se perpétuer au pouvoir ; les commandans fédéraux les appuyaient de toute leur influence, fermaient les yeux sur les