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et de faire prévaloir ses idées personnelles sans égard à aucun conseil. On pensait du moins que les ministres seraient choisis, comme d’ordinaire, parmi les hommes les plus considérables du parti qui venait de triompher dans l’élection : contre toute attente, les membres du cabinet furent pris exclusivement dans le cercle des amis ou des relations personnelles de Grant et, à l’exception de M. Washburne, qui échangea presque immédiatement le portefeuille des affaires étrangères contre l’ambassade de Paris, tous étaient fort obscurs, ce qui fit dire aux mécontens que le président s’était donné des commis et non des ministres. Néanmoins, tous ces choix furent confirmés sans difficulté par le sénat.


II.

Il suffira de rappeler les faits principaux de l’administration de Grant et d’en faire ressortir le caractère général ; la raconter en détail serait faire l’histoire des États-Unis pendant ses huit années de présidence, et cette histoire a déjà été retracée ici[1]. La politique extérieure du nouveau président fut marquée, dès les premiers jours, par un grand succès qui flatta singulièrement l’amour-propre de ses compatriotes. La raideur avec laquelle il soutint les réclamations élevées par le gouvernement américain, au sujet des déprédations de l’Alabama, arracha à l’Angleterre le traité de Washington qui soumit ce litige à un arbitrage, et la convention de Genève, en donnant raison aux États-Unis, leur alloua une indemnité de 15 millions de dollars qui s’est trouvée fort supérieure aux dommages dont il a été justifié; mais les Américains, trouvant que l’argent de l’Angleterre était bon à garder, n’ont pas voulu restituer l’excédent. Grant fut moins heureux dans l’exécution du projet qu’il avait conçu d’annexer la république de Saint-Domingue aux États-Unis. Il conclut bien, avec le gouvernement dominicain, deux traités dont l’un conférait aux États-Unis le droit d’établir une station navale dans la baie de Samana, dont l’autre stipulait l’incorporation de la république entière dans la confédération américaine. Le président ne put obtenir la ratification d’aucun de ces deux traités, et ce fut en vain qu’il soumit plusieurs fois la question au congrès ; son obstination ne put vaincre la résistance du sénat. Un de ses premiers actes, également, fut d’ouvrir des négociations avec le gouvernement de la Colombie afin d’obtenir pour les États-Unis le droit de construire et d’administrer un canal inter-océanique à travers l’isthme de Darien. Le traité qui fut préparé et même signé, mais qui devint caduc par l’inexécution d’une de ses clauses,

  1. Voir, dans la Revue du 1er septembre 1876, l’Administration du général Grant.