Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/846

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cette sage réserve, il eût conservé les sympathies que lui avait values sa conduite généreuse envers les généraux et les soldats vaincus, il fût demeuré l’homme de la nation entière, au lieu de devenir l’homme d’un parti. Les républicains, dont il servait les passions, l’adoptèrent unanimement pour leur candidat à la présidence dans l’élection de 1868, mais, par contre-coup, les démocrates et tous les hommes qui étaient partisans d’une politique de conciliation à l’égard des populations du Sud, cherchèrent un autre candidat et lui opposèrent un citoyen éminent de New-York, M. H. Seymour. Huit états donnèrent la majorité à ce dernier et, sur l’ensemble des 5,716,082 votans, Grant n’eut qu’une majorité de 309,684 voix : encore trois états du Sud, la Virginie, le Mississipi et le Texas n’avaient-ils pas recouvré le droit de prendre part à l’élection.

On remarqua que la lettre laconique par laquelle Grant accepta la candidature ne contenait aucun programme politique ni même aucune indication de la ligne de conduite que le futur président comptait suivre. Il promettait seulement « de faire exécuter les lois de bonne foi, avec économie, et avec le désir d’assurer à tous paix, tranquillité et protection. » II ajoutait : « Dans les circonstances actuelles, il est impossible, ou tout au moins inopportun, d’exposer une politique à laquelle il faudrait se conformer, qu’elle fût bonne ou mauvaise. Dans le cours d’une administration de quatre années, des questions nouvelles et imprévues surgissent constamment; les idées du public, sur les questions anciennes, se modifient non moins constamment; et un fonctionnaire purement exécutif doit toujours être laissé libre d’accomplir la volonté du peuple. J’ai toujours respecté cette volonté et le ferai toujours. » Les gens clairvoyans furent convaincus que Grant entendait se réserver, dans la conduite des affaires publiques, la même indépendance et la même liberté d’action qu’il avait toujours revendiquées dans la direction des opérations militaires, et ils s’attendirent, dès lors, à une administration aussi autoritaire que celle d’André Jackson. Ils durent être confirmés dans cette opinion, lorsque, après l’élection, Grant annonça aux commissaires qui lui en apportaient la nouvelle, sa détermination de ne pas faire connaître les noms de ses futurs ministres avant le jour où il entrerait en fonctions, se bornant à dire qu’il s’efforcerait de choisir des conseillers « capables de pratiquer une politique d’économie et de réduction dans les dépenses, et de remplir fidèlement les obligations de tout gouvernement. » Enfin, dans son discours d’inauguration, il déclara « qu’il avait conscience de toutes les responsabilités attachées à sa nouvelle situation, mais qu’il les acceptait sans crainte. » Tous ces indices trahissent chez lui la détermination de gouverner par lui-même