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l’armée de Johnston et toutes les forces confédérées aussi bien que l’armée de Lee. Les conditions en étaient fort simples : officiers et soldats devaient déposer les armes et donner leur parole de respecter les lois de l’Union ; cela fait, ils pouvaient se retirer dans leurs foyers, et ils seraient à l’abri de toute recherche de la part de l’autorité fédérale, tant qu’ils observeraient leurs engagemens. Les confédérés déposèrent les armes en présence de Grant et de son état-major. Lee portait une magnifique épée d’un travail remarquable que ses admirateurs avaient fait fabriquer en Angleterre pour la lui offrir. Lorsqu’il la tendit à Grant, un mouvement nerveux contracta un instant sa mâle figure, mais il se remit aussitôt et salua courtoisement son adversaire victorieux. Grant prit l’épée, l’examina avec curiosité, lut à haute voix les noms de batailles qui étaient inscrits sur le fourreau; puis, il la rendit à Lee, en lui disant: « Général, cette épée ne saurait être portée par un plus brave soldat. » Grant ne s’en tint pas à cette marque de courtoisie. Le ministre de la guerre, M. Stanton, homme passionné et vindicatif, voulait, malgré les termes de la capitulation, faire arrêter et faire juger comme déserteurs et comme traîtres Lee et quelques autres généraux confédérés qui avaient été instruits à West-Point et qui avaient appartenu à l’armée régulière. Grant s’éleva avec une noble indignation contre cette prétention et protesta qu’il ne laisserait pas déshonorer sa signature. Le ministre n’osa point tenir tête à l’homme pour qui le congrès venait de créer la fonction de général en chef des armées américaines en spécifiant que cette charge serait supprimée par le fait de sa mort. Si la vie de Grant se fût terminée à ce moment, il eût laissé une mémoire égale à celle de Washington : malheureusement, la politique allait s’emparer de lui et diminuer son prestige et sa gloire.

Pour le moment, sa popularité était sans bornes : il était véritablement l’idole de la nation. Il s’occupait activement du licenciement des volontaires, mesure rendue urgente par la nécessité d’alléger les charges publiques, et il avait à reconstituer, après le départ de ces multitudes, l’ancienne armée régulière afin d’assurer le maintien de la tranquillité dans les états du Sud. Cette tâche lui imposait des voyages dans les diverses parties du territoire, et chacune de ces excursions donnait lieu à de véritables ovations. Les habitans de Philadelphie lui firent présent, dans leur ville, d’un hôtel qui avait coûté 30,000 dollars. Quand il se rendit à Galena, d’où il était parti pour reprendre du service, ses anciens concitoyens lui offrirent une belle habitation, toute meublée. D’innombrables présens lui étaient envoyés, sous toutes les formes, par les villes et même par de riches particuliers. Dans le Sud même, où les devoirs de sa charge l’appelaient fréquemment, il était reçu