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je ne veux vous imposer ni contrainte, ni restriction d’aucune sorte. Maintenant avec une bonne armée et une juste cause, puisse Dieu vous assister ! » Il était impossible de donner à un général une plus haute marque de la confiance nationale. Grant répondit à cette lettre en rendant hommage à la promptitude et à la libéralité sans bornes avec lesquelles le gouvernement avait toujours satisfait à toutes les demandes des commandans d’armée : « Si le succès de cette campagne, disait-il en terminant, demeure au-dessous de mes désirs et de mon espérance, le moins que je puisse faire est de reconnaître que la faute n’en est pas à vous. »

Grant avait désormais la direction de toutes les opérations militaires. Il avait souvent comparé les armées de l’Est et de l’Ouest à un attelage mal appareillé, dont les deux chevaux ne tiraient jamais du même côté. Il allait dépendre de lui de coordonner leurs mouvemens de façon à établir dans leur action le concert qui avait manqué jusque-là et qui devait résulter naturellement de l’unité dans le commandement. Par la prise de Vicksburg, il avait déjà coupé la confédération en deux : il conçut la pensée de faire subir le même sort aux états qui luttaient encore. Il appela Sherman dans le Tennessee, plaça 100,000 hommes sous ses ordres et lui donna pour instructions d’entrer en Géorgie, de pousser droit sur Atlanta, capitale de cet état et l’un des foyers les plus actifs de la rébellion, de s’y établir fortement et de descendre ensuite, le long de la vallée de la Chesapeake jusqu’à la mer. Si ce mouvement réussissait et Sherman avait des forces plus que suffisantes pour l’exécuter, la Virginie et les deux Carolines ne communiqueraient plus avec les états de l’extrême Sud, Alabama, Louisiane, Mississipi et Floride ; le recrutement et le ravitaillement des armées confédérées deviendraient très difficiles ; Lee serait menacé d’être pris entre deux feux. L’armée du Potomac, en effet, l’attaquerait de front et tâcherait de le déloger de Richmond afin de le rejeter sur Sherman. Grant s’attendait à une lutte acharnée, mais l’infériorité numérique des confédérés lui donnait une confiance entière dans le résultat définitif. Cette infériorité était irrémédiable : c’est que le Sud n’avait pas seulement une étendue moindre que le Nord, mais surtout une population moins dense, et il n’avait osé armer qu’un petit nombre d’esclaves. Les armées confédérées ne pourraient donc réparer leurs pertes, tandis que les armées du Nord avaient derrière elles une population triple, un afflux constant de volontaires européens attirés par les offres du gouvernement fédéral, et les ressources d’un immense territoire. La pensée de Grant était donc qu’il fallait attaquer partout et toujours les rebelles sans leur laisser de relâche, parce que, dût-on faire tuer deux hommes pour un on arriverait forcément à les épuiser et à anéantir leurs armées : « Je veux, répétait-il volontiers, frapper