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de guerre le ramenât en Russie et attendît Louis XVIII dans le petit port de Liébau pour le conduire à Carlscrone.

Abandonné par toutes les cours, au fur et à mesure que Napoléon étendait ses conquêtes, Louis XVIII n’avait plus d’espoir qu’en celle de Suède, et cela peut contribuer à faire comprendre ses illusions. Mais, il fallait être singulièrement ignorant de l’état du continent pour supposer qu’après les défaites successives de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, le petit roi de Suède pourrait seul tenir tête au conquérant qui dominait le monde. Le prétendant crut cependant à la possibilité de cette résistance. Sur le rapport de Blacas, il se décida à quitter l’asile qu’il tenait de la générosité du tsar, ne conservant qu’un très faible espoir d’y revenir si l’entreprise qu’il allait tenter échouait, mais songeant déjà à se fixer dans ce cas en Angleterre, au milieu d’une nation qui se déclarait l’irréconciliable ennemie de Napoléon. Il ne voulut pas cependant faire connaître au tsar toute sa pensée. En lui mandant son départ, il lui annonçait aussi son prochain retour.

Alexandre reçut sa lettre à Saint-Pétersbourg. Il venait d’y rentrer, suivi d’un représentant du gouvernement français, Lesseps, accrédité près de lui comme chargé d’affaires. C’est à cet agent diplomatique qu’il voulut d’abord communiquer la détermination du comte de Lille. Dans la matinée du 22 août, il le fit appeler : « En mai dernier, lui dit-il, lorsque je faisais la guerre à la France, le roi de Suède m’écrivit pour m’engager à déterminer le comte de Lille à se rendre à Stockholm. Je me bornai à envoyer cette lettre à Mitau, sans lui donner aucun conseil, et en le laissant maître de faire ce qu’il voudrait. Je ne me suis plus occupé de lui parce que je le reconnus, surtout lorsque j’eus occasion de le voir et de causer avec lui, pour l’homme le plus nul et le plus insignifiant en Europe. J’en parlai sur ce ton à l’empereur, qui le connaissait sous ce même rapport. Tranquille sur ce point, je n’y pensais plus, lorsque hier je reçus un courrier de mon gouverneur de Mitau, qui m’annonçait que le comte de Lille se disposait à s’embarquer pour la Suède. J’ai aussitôt répondu qu’il n’était pas mon prisonnier, que je lui avais offert l’hospitalité chez moi et que, si elle lui devenait a charge, il était libre de la chercher ailleurs. D’après cela, je crois qu’il s’en ira. Mais je n’y suis pour rien. » Après avoir chargé M. de Lesseps de répéter cette explication à son gouvernement, le tsar, comme s’il eût voulu se faire un mérite auprès de Napoléon de son indifférence pour les Bourbons, ajouta : « Le comte de Lille m’a sollicité plusieurs fois de le reconnaître comme roi ; mais je m’y suis constamment refusé, persuadé que jamais il ne montera sur le trône. »