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ses complimens, de ce qu’éprouve le petit-fils d’Henri IV, lorsqu’il apprend la nouvelle d’actions aussi grandes, aussi importantes pour lui-même, et cela tandis qu’il est dans l’inaction ; mais j’oserai répéter en ce moment ce que je disais avant la campagne de 1805: « Là où le roi de France se trouvera en personne, là sera la frontière, et j’ajouterai que ma présence doit fixer les succès en influant sur l’opinion en général et en particulier sur l’esprit du soldat qui, voyant le drapeau blanc dans ma main, verra autre chose à suivre qu’un tyran que la France abhorre. »

Cette fois, Alexandre parut prêter attention au langage du comte de Lille. Il lui fit suggérer l’idée d’une proclamation qui serait distribuée aux Français par les armées coalisées ; il en traça lui-même le plan et en indiqua l’esprit. A la même époque, le roi, apprenant qu’Alexandre allait rejoindre son armée sur les bords du Niémen et devait passer par Mitau, sollicita de lui une entrevue à laquelle le tsar se prêta. Le 30 mars, à sept heures du soir, il arrivait à Mitau, après s’être fait annoncer, dès le matin, par le gouverneur de Courlande. A la poste, il trouva le duc d’Angoulême venu pour le complimenter. Suivi du prince, il se rendit au château. Au pied de l’escalier, il rencontra le comte d’Avaray, qui le conduisit jusqu’à la pièce d’entrée du premier étage où se tenait le comte de Lille empêché par la goutte de descendre au-devant de l’empereur. Les deux souverains s’étant embrassés, s’enfermèrent dans le cabinet du roi, où ils restèrent durant plus d’une heure. A l’issue de leur entretien, le tsar consacra quelques instans à la reine et à la duchesse d’Angoulême ; il quitta Mitau le même soir.

Que s’étaient dit dans cette entrevue l’empereur qui se considérait encore comme l’arbitre des destinées de l’Europe et le roi sans couronne? Les lettres postérieurement échangées permettent de le conjecturer. Louis XVIII demanda à marcher avec les monarques coalisés, son drapeau déployé ; afin qu’il fût prouvé que ce n’était pas une guerre de conquête qu’ils faisaient à la France, mais qu’ils avaient seulement en vue de la délivrer du joug de Napoléon et de lui rendre son roi légitime. Il demanda également que le tsar poussât l’Angleterre à organiser une expédition destinée à agir sur les côtes de Bretagne, expédition qu’à ce même moment le comte de La Chapelle et le comte de La Châtre sollicitaient à Londres et à laquelle le roi de Suède devait prêter son concours. Enfin, il insista pour être officiellement reconnu par Alexandre comme il l’avait été par Paul Ier. Le tsar se déroba à tout engagement ; il ne refusa rien, mais ne promit rien ; et quand le comte de Lille devint plus pressant, il se tira d’embarras en annonçant l’arrivée