Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/813

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duc d’Angoulême, pressé d’embrasser son père, il voulut aller à sa rencontre jusqu’à trente lieues de Calmar. Vainement le général d’Anckarsward lui objecta qu’il s’exposait à ne pas le rencontrer, le jeune prince s’obstina à partir, bien qu’il ignorât par quelle route arrivait son père. Il était à peine parti que les craintes du général se réalisèrent. Le comte de Ponthieu avait pris un autre chemin que celui que suivait son fils.

Le 7 octobre, le roi sortit de la ville, se dirigeant vers Ryssby, petit village des environs, où son frère avait dû passer la nuit. C’est là qu’ils se virent et s’embrassèrent après une séparation de plusieurs années. Le même jour, ils rentraient ensemble à Calmar, où le duc d’Angoulême, revenu de sa longue et inutile course, les rejoignit dans la soirée. Ils purent alors goûter librement le bonheur de se trouver réunis.

Eloignés l’un de l’autre par de tragiques événemens, le roi de France et le comte d’Artois en évoquèrent d’abord le souvenir. Ils donnèrent des larmes à leurs morts, à leur frère, à la reine, à Madame Élisabeth, au dauphin, au duc d’Enghien, aux vaillans amis de leur cause, frappés en combattant pour elle. Ce fut l’objet de leur entretien, surtout la triste fin du dernier des Condé, dont ils portaient encore le deuil et qui prouvait qu’entre eux et Bonaparte, la lutte, si elle se continuait, serait sans merci. La politique vint ensuite, défraya les conversations ultérieures, qui furent longues et nombreuses. Le roi et son frère avaient tant d’espérances communes à échanger, tant de projets à étudier, tant de malentendus antérieurs à éclaircir ! Au cours de leur séparation, ils avaient été souvent divisés d’opinions. Mais ces divisions étaient moins l’œuvre de leur cœur que celle de leurs partisans. En se retrouvant face à face, en s’expliquant sans intermédiaires, il leur fut aisé de se mettre d’accord. Leurs griefs s’évanouirent ; leurs épanchemens ne se ressentirent à aucun degré des dissentimens antérieurs.

Les circonstances d’ailleurs ne leur étaient plus favorables au même degré qu’autrefois. Les victoires successives de Bonaparte affermissaient la couronne impériale sur son front. Tour à tour, les souverains de l’Europe reconnaissaient en lui le fait accompli. Le triomphe du droit sur la force était indéfiniment ajourné. Le rôle du prétendant ne pouvait plus être qu’un rôle d’observation et d’expectative. Quand les champions d’une même cause sont désarmés, réduits à l’impuissance, il leur est facile de vivre unis. En de fréquens entretiens, les princes examinèrent leurs chances sans illusion comme sans défaillance ; mais, toujours animés d’une indomptable espérance, ils se fortifièrent dans le dessein de persévérer dans leur attitude. La protestation que le roi entendait élever contre