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vous les recevrez tous sans aller chez aucun. Vous pourrez cependant charger un des deux officiers que vous avez de se mêler à eux, afin de rassembler un plus grand nombre de renseignemens. »

Duroc quitta Paris le 24 avril. Moins d’un mois après, il faisait connaître qu’il avait été amicalement accueilli par Alexandre : « Je ne veux me mêler des affaires intérieures de personne, lui avait dit l’empereur. Chacun peut se donner le gouvernement qui lui convient. Je désapprouve ceux qui veulent s’y opposer. » Ce langage était bien fait pour laisser supposer à Bonaparte qu’il trouverait dans Alexandre un utile et fidèle allié. Au même moment, l’arrivée de M. de Markof à Paris imprimait aux relations des deux gouvernemens le caractère le plus cordial. A la fin de 1801, sur la demande du tsar, divers gentilshommes français restés longtemps au service de la Russie : MM. de Richelieu, de Lambert, de Langeron, de Torcy, de Choiseul-Gouffier, d’autres encore, étaient rayés de la liste des émigrés. Talleyrand, ministre des affaires étrangères à Paris, échangeait avec le prince Kourakin, ministre des affaires étrangères à Saint-Pétersbourg, d’amicales lettres[1]. Il semblait donc que Bonaparte, possédé du désir de créer entre la Russie et la France pour contenir l’Angleterre une étroite alliance, eût atteint son but.

Pendant ce temps, réfugié à Varsovie, Louis XVIII y était oublié par ces mêmes souverains en qui naguère il mettait ses espérances. S’ils se souvenaient encore de lui, c’était pour s’avouer qu’il ne pouvait plus être désormais l’instrument de leurs desseins, pour se décharger l’un sur l’autre du soin de le soustraire aux amères humiliations de la pauvreté. La pauvreté, l’impuissance qui en résulte, c’étaient là, en effet, les plaies vives de la petite cour du comte de Lille[2]. Il séjournait depuis plus de six mois à Varsovie qu’il en était encore à attendre les secours mensuels du tsar. A son départ de Mitau, Paul Ier s’était engagé à les lui continuer. Mais, en réalité, il ne les recevait plus. Malgré ses pressantes sollicitations, l’héritier des Bourbons restait en disgrâce à Saint- Pétersbourg comme s’il eût été un simple courtisan. Le tsar lui refusait jusqu’au droit d’avoir un agent à la cour de Russie. Ce n’est que par l’intermédiaire du duc de Serra-Capriola, représentant des

  1. Dans l’une d’elles, où le chancelier russe faisait étalage de ses sentimens de sympathie, on lit : « Agréez-en l’assurance de même que celle de la confiance que je place en vous. »
  2. Dès ce moment, et même au regard de la cour de Russie, qui l’avait d’abord reconnu comme roi de France, il n’était plus que le comte de Lille. C’est sous ce nom que lui fut adressée la première lettre qu’il reçut de la chancellerie russe après la mort de Paul Ier. Depuis, et jusqu’en 1814, la formule ne changea plus.