Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnaient des fêtes, l’entretenaient de celles qui l’attendaient à Paris. Lui-même ne cessait de parler de l’admiration de son maître pour Bonaparte. Arrivé à son poste, reçu aussitôt par le premier consul, il se vit accablé d’attentions et de prévenances. La réconciliation s’opérait donc sous de favorables auspices, promettait d’heureux résultats. Mais, quand des congratulations réciproques on passa aux affaires, dans l’ambassadeur jusque-là si déférant et si courtois, se révéla un homme nouveau, raide, tout d’une pièce, revendiquant avec hauteur les droits de son souverain, ne se prêtant à aucune transaction. Trois mois ne s’étaient pas encore écoulés depuis son arrivée à Paris que Bonaparte écrivait à Talleyrand : « Il est difficile d’être aussi impertinent et aussi bête que M. de Kalitschef. »

Entre temps, un tragique événement avait changé la face des choses en Russie. Durant la nuit du 11 au 12 mars, l’empereur était mort en des circonstances mystérieuses. A la suite d’une conspiration de palais, il avait péri assassiné. La nouvelle de son trépas arriva à Paris au moment où Bonaparte, las des procédés de M. de Kalitschef, songeait à demander son remplacement. L’occasion lui parut propice pour rendre plus étroites et plus cordiales ses relations avec la cour de Russie. Le nouvel empereur, Alexandre, était jeune, plus accessible que son père à l’influence des idées modernes. Non-seulement il manifestait l’intention de concourir au rétablissement de la paix générale par sa persévérance dans les mesures qu’avait adoptées son prédécesseur avec les puissances du Nord, mais encore il se prononçait sur son union avec la république française comme sur un système justifié par l’expérience de ses ancêtres, par la convenance des deux états, et « par la nécessité de mettre un frein au despotisme maritime de l’Angleterre. » Enfin, dès son avènement, il avait fait savoir qu’il rappelait M. de Kalitschef et désignait un autre de ses sujets, M. de Markof, pour le remplacer.

Bonaparte ne voulut pas laisser se refroidir ces heureuses dispositions. Son ambassadeur en Russie n’était pas encore nommé. En attendant qu’il l’eût choisi, il résolut d’envoyer Duroc, un de ses aides-de-camp, à Saint-Pétersbourg. Duroc reçut de Talleyrand les instructions les plus minutieuses. Il devait présenter au tzar les regrets du premier consul sur la mort de Paul Ier, le féliciter sur son avènement, et lui offrir de signer immédiatement la paix. Une lettre autographe de Bonaparte exprimait ces sentimens. Les instructions remises à Duroc avaient tout prévu, même l’attitude qu’il devait prendre vis-à-vis des émigrés. « Quant aux émigrés français qui pourraient se trouver en crédit à Saint-Pétersbourg,