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et un bon cœur! Il est de Ratisbonne, mais il y a déjà plus de quinze ans qu’il est à Paris, et il sait tout mettre en train et faire réussir les choses à son gré. »

Bon sens, bon cœur et savoir-faire, — c’est là un témoignage à recueillir.

Wolfgang revint à Paris une troisième fois, en 1778. Il avait alors vingt-deux ans et était accompagné de sa mère. Il retrouva son ancien protecteur ; son couvert était toujours mis chez Mme d’Epinay. Les deux Allemands s’accordaient, d’ailleurs, dans leurs antipathies ; ils daubaient à l’envi sur la musique française. Se plaignant des jalousies auxquelles il était exposé : « Si c’était ici, écrit Mozart, un endroit où les gens eussent de l’oreille, du cœur pour sentir, quelque intelligence de la musique et du goût, je rirais volontiers de toutes ces misères, mais je suis, en ce qui concerne la musique, parmi des bestiaux et des brutes. Et comment en pourrait-il être autrement? Ils sont de même dans toutes leurs actions et toutes leurs passions. Non, il n’y a pas une ville au monde comme Paris! » On croit assister à l’une des sorties de Grimm : « Si seulement cette maudite langue française n’était pas aussi infâme pour la musique ! C’est une misère ! L’allemand est divin en comparaison. Et les chanteurs donc, et les cantatrices! On ne devrait pas les nommer ainsi, car elles ne chantent pas, elles crient, elles hurlent, à pleine gorge, du nez et du gosier. »

Mozart eut la douleur de perdre sa mère pendant ce séjour à Paris. Il fut aussitôt recueilli par le « grand ami. » — « Je vous écris, dit-il à son père, dans la maison de Mme d’Epinay et de M. le baron de Grimm, où je loge actuellement; j’ai une gentille petite chambre avec une vue fort agréable, et j’y suis aussi content que le permet mon état. »

Grimm continua longtemps à trouver sa plus chère distraction dans la musique, et, tant qu’il vécut parmi nous, à maudire des païens qui n’avaient jamais su, disait-il, et ne sauraient jamais ce que c’est que le don céleste accordé à toute la terre, hors la France, pour charmer les maux de la vie. Puis l’âge arriva et lui enleva jusqu’à l’usage de son piano ; il se plaignait à Catherine que ses doigts crochus ne lui permissent plus de prendre un accord sur le clavier. L’extrême vieillesse, enfin, qui éteint tout, éteignit sans doute jusqu’à cette passion qu’il avait appelée lui-même une frénésie, mais ce ne fut à coup sûr que lorsqu’il était déjà mort à tout autre sentiment.


EDMOND SCHERER.