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avait pris occasion pour revenir sur les idées de son discours de Dijon. L’explication au sujet du Devin du village se rapporte à un passage du Petit Prophète dans lequel Grimm avait glissé un éloge de cette pièce. « Je l’ai fait faire, disait la Voix, selon mes désirs, par un homme dont je fais ce qu’il me plaît, encore qu’il regimbe contre moi, car je le gouverne malgré qu’il en ait.» Allusion à la contradiction, chez Rousseau, entre l’artiste et le philosophe qui condamnait les arts. Quant aux Trois Chapitres, c’était l’une des innombrables brochures soulevées par la querelle des Coins ; on l’attribue à Diderot, ainsi qu’une ou deux autres parmi les cinquante ou soixante écrits que fit éclore cette controverse. Ajoutons que le Petit Prophète ne fut pas seulement contrefait à Leipzig, il y fut traduit ou plutôt imité par Mme Gottsched. Tout en retenant le titre de l’original, elle en avait tourné la pointe contre une opérette allemande alors en vogue, l’ouvrage d’un certain Weisse auquel Gottsched en voulait comme à un rival dans le genre sérieux, et la Gottschedin comme au patron d’une musique frivole.

Tout l’esprit mis au service du Coin de la reine ne parvint pas à sauver les Bouffes des colères du parti national. Mondonville, qui avait un opéra à faire représenter et qui redoutait les sifflets de la cabale « ultramontaine, » parvint à nouer des intrigues à Versailles. Grimm, vingt ans après, racontait dans la Correspondance comment les choses s’étaient passées. « Le patriotisme se réveilla. Mme de Pompadour crut la musique française en danger et frémit. On résolut de faire réussir Titon et l’Aurore à quelque prix que ce fût. Toute la maison du roi fut commandée. Le jour de la première représentation, dès midi, le Coin de la reine fut occupé par MM. les gendarmes de la garde du roi ; MM. les chevaux-légers et les mousquetaires remplissaient le reste du parterre. Lorsque MM. du Coin arrivèrent pour prendre leurs places, ils ne purent en approcher et furent obligés de se disperser dans les corridors et au paradis, où, sans rien voir, ils furent témoins des applaudissemens les plus bruyans qu’on eût jamais prodigués à une première représentation. Un courrier fut dépêché à Choisy, où était le roi, pour porter la nouvelle du succès. Notre défaite fut complète; on osa bientôt aller plus loin et congédier la troupe des Bouffons, source de tant de discorde ; et cela se fit si heureusement qu’on n’a pas entendu chanter une seule fois depuis sur le théâtre du Palais-Royal, et qu’on y crie jusqu’à ce jour avec une force de poumons que le patriotisme national peut seul endurer. J’avais proposé alors humblement au Coin de signaler notre attachement pour la bonne musique à la dernière représentation des Bouffons, de louer les deux premières loges de chaque côté, de nous y rendre tous en grands