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et de la Messiade, Lessing, au moment où ces lignes étaient tracées, n’avait que vingt et un ans, Wieland n’en avait que dix-sept, et Goethe venait de naître.

A part cette prophétie, les lettres au Mercure ont l’intérêt d’un début et n’en ont guère d’autre. La première donne en six pages un aperçu général de la littérature allemande, et la seconde revient avec un peu plus de détails sur les périodes récentes de cette histoire. Le tout assez solide, mais sec, sans vues ni agrément. Une langue à peu près suffisante, mais gâtée par le style de l’époque : le feu sacré d’Apollon, la lyre d’Horace, la trompette de Virgile. Grimm, du reste, n’y met pas de prétention. Le français, avoue-t-il en terminant, lui est une langue trop étrangère pour qu’il essaie de citer, en les traduisant, les poètes dont il vient de vanter le mérite.

Les lettres de Grimm devaient avoir une suite, mais un autre gibier traversa la piste et fit perdre de vue à l’auteur l’espèce d’engagement qu’il avait pris. Il était, au fond, encore plus passionné de musique que de littérature. Nous l’avons vu musiquer avec Rousseau, y passer la soirée et la nuit; il composait à l’occasion. Dès son arrivée à Paris il fréquenta assidûment l’Opéra, où, avec Rousseau, Diderot, d’Holbach, d’Alembert, l’abbé de Canaye, il occupait le coin de la reine. Il avait eu l’occasion d’entendre l’opéra italien en Allemagne, et il en avait apporté un enthousiasme qui ne se refroidit jamais pour la musique de Pergolèse et le drame lyrique de Métastase.

Ce sont ses écrits sur la musique qui mirent Grimm en évidence. Une lettre sur l’opéra d’Omphale, du compositeur Destouches, commença d’attirer sur lui l’attention. On y répondit, et il y eut des réponses à cette réponse. Vint ensuite le Petit Prophète, qui fit événement. Il enflamma la guerre des deux coins ; il conféra à l’auteur la notoriété si difficile à acquérir pour un étranger ; il lui valut enfin un suffrage qui le naturalisait du coup : « De quoi s’avise donc ce Bohémien, avait dit Voltaire, d’avoir plus d’esprit que nous? » Le Petit Prophète fit la fortune de Grimm.

Le Petit Prophète a trait à la controverse soulevée par l’arrivée des Bouffes à Paris, en 1752. La Lettre sur Omphale fut antérieure de quelques mois à cet événement, mais elle était déjà un manifeste contre l’opéra français et exprimait déjà, avec l’éloge de la musique italienne, les vues particulières de notre dilettante sur le récitatif, les airs, les duos. Seulement tout cela était encore exprimé avec une certaine mesure ; le genre de la tragédie lyrique n’était pas encore proscrit ; et l’écrivain parlait de Rameau avec une admiration dont il rabattit terriblement plus tard. Pygmalion était divin, Platée sublime. On sent que cet étranger, qui vient nous