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du jeune homme. Quand il quitta l’Université, il avait rompu intérieurement, non-seulement avec Gottsched, mais avec lui-même, avec ses premiers penchans et ses premiers essais. Sa propre Banise ne lui inspirait plus que de la pitié ; il avait reconnu, au contact des grands modèles et à l’épreuve des leçons sévères, que son tour d’esprit ne le portait pas à la poésie ; le sens critique s’était éveillé en lui, et c’est vers la discussion et le raisonnement qu’il se tournera désormais.

Grimm ne resta guère plus de deux ans à Leipzig, et ne paraît pas y avoir suivi un cours d’études bien déterminé. Il y vivait, malgré la différence des conditions, — c’est sa propre expression, — dans l’intimité de Gottlob Schœnberg, lisant avec lui Tite Live et Cicéron et fréquentant avec lui les cours d’Ernesti et de Mascov. Faute de ressources suffisantes, selon toute apparence, il abrégea ses études et revint à Ratisbonne pour se charger de l’éducation du jeune frère de son ami. Au besoin, secrétaire du père dans les voyages de celui-ci. C’est en cette qualité, du moins tout l’indique, qu’il alla à Francfort, en 1745, lors de l’élection de François Ier à l’empire. Nous assistons ici à l’entrée de Grimm dans le monde. Ses lettres à Gottsched, avec lequel il a repris sa correspondance, nous le montrent également occupé des événemens publics qui s’accomplissent devant lui, des manèges qui forment le dessous habituel des affaires humaines, et des plaisirs qui ne pouvaient manquer à une réunion de princes de l’empire. Grimm donne à son correspondant des nouvelles de la Neuber, cette actrice que Gottsched avait associée à ses tentatives de régénération du théâtre. Elle va jouer Britannicus, mais elle a affaire à forte partie ; la foule préfère Arlequin et le beau monde court à la pantomime. Dans ses réflexions sur la politique, Grimm trahit déjà les penchans qui finirent par l’emporter chez lui sur les goûts mêmes de littérature et de théâtre, je veux dire l’intérêt qu’il trouve au spectacle des hommes et des choses. « J’ai été ici, écrit-il, le témoin de tout ce qui s’est fait, et j’ai eu un bonheur tout particulier, celui de voir de près. C’est aujourd’hui que l’empereur a reçu les hommages de la ville... On a ici la meilleure occasion possible d’observer toute espèce d’individus, et si j’avais seulement une parcelle de l’esprit de notre poétesse comique (Mme Gottsched), je crois que je pourrais écrire d’excellentes comédies et de mon fonds. »

Grimm, après ce piquant intermède d’une diète d’élection, passa encore trois ans dans la maison Schœnberg, séparé de son ami Gottlob qui achevait ses études universitaires, mais donnant ses soins au jeune frère, travaillant pour son propre compte, et continuant d’écrire à Gottsched, sans lui dissimuler toutefois le changement