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ce qu’elles étaient encore au milieu du siècle dernier, et ce qu’elles devinrent à cinquante ans de là.

Il semblerait que Grimm, à Leipzig, eût dû subir pour toute la vie l’influence du maître dont les écrits lui avaient inspiré tant d’admiration et près duquel ses débuts littéraires avaient trouvé un si bienveillant accueil. C’est le contraire qui arriva, et ce furent les leçons d’un autre professeur qui donnèrent à son esprit la direction définitive. Ernesti était un homme d’un mérite hors ligne et qui à une profonde érudition unissait un goût sévère. Ses éditions de divers auteurs grecs et latins, celle de Cicéron surtout, ont fait époque dans l’histoire des études classiques. Il n’a pas moins marqué dans la théologie, et par les mêmes qualités de bon sens et de sagacité. Sans se porter en novateur, ni tirer de sa méthode toutes les conséquences qui devaient en découler plus tard, il fut le premier à insister sur l’application aux livres saints des règles d’interprétation qui faisaient loi pour les autres ouvrages de l’antiquité. Écrits dans la langue de leur temps, rédigés dans des circonstances et pour des lecteurs déterminés, il fallait, selon Ernesti, avoir égard avant tout à leur sens grammatical et à leur caractère historique. L’usage dogmatique ou édifiant n’était pas exclu, loin de là, mais il ne pouvait venir, si j’ose m’exprimer ainsi, qu’après l’intelligence humaine du texte. Tel a été le point de départ d’une grande révolution, l’étude critique de la Bible. Quand Ernesti tourna ses études vers la théologie, Grimm avait depuis longtemps quitté Leipzig, mais il n’oublia jamais l’impression qu’il avait reçue de l’enseignement philologique d’un si bon maître. Il avait surtout conservé le souvenir d’un cours sur le De Officiis, dans lequel les beaux développemens moraux s’alliaient à l’interprétation du livre. Il aimait à rappeler ces souvenirs ; le nom d’Ernesti se trouve sous sa plume dès son premier écrit, les Lettres au Mercure, et, à plusieurs reprises, dans la Correspondance littéraire ; il se plaît à rapporter à son ancien professeur sa connaissance de l’antiquité ; il vante le grand goût et le grand style qui le distinguaient. Il prétend n’avoir jamais rencontré à Paris qu’un seul homme qui sût le latin comme le voulait Ernesti, et cet homme était un Italien, Galiani. Citant une inscription composée dans cette langue par « l’illustre et cher abbé : » « On pilerait, dit-il, l’Académie des inscriptions tout entière dans un mortier plutôt que de lui faire faire une inscription dans ce goût-là. » Le ton ici est à remarquer ; Grimm a la conscience de la supériorité qu’une solide instruction lui donne sur la légère et superficielle culture du monde où il vit. Mais je n’hésite pas à attribuer également à l’influence d’Ernesti le changement qui s’opéra, à Leipzig, dans les inclinations