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les autres règles dont il a connaissance. Gottsched, à en juger par une troisième lettre, accueillit, en effet, assez bien l’essai du jeune homme. Grimm lui écrit en vers, cette fois, et, dans un morceau où la pesanteur du style fait contraste avec l’ardeur des sentimens, il remercie de son approbation le grand esprit que l’on place à bon droit à côté d’Horace et auquel Boileau est obligé de céder la palme.

Le départ de Grimm pour l’université de Leipzig mit fin pour le moment à cette correspondance. Il allait faire la connaissance personnelle et entendre les leçons de l’illustre professeur! Gottsched l’accueillit paternellement; il lui donna des conseils au sujet de sa pièce, lui indiqua des lectures à faire, si bien que le jeune homme finit par mettre de côté son premier essai et par refaire l’ouvrage sur un nouveau plan. Ainsi refondue, Banise parut, en 1743, dans l’un des volumes du Théâtre allemand. L’auteur avait alors vingt ans. il la revit encore, et, nous dit-on, l’améliora considérablement pour la seconde édition du recueil où elle figurait. Le succès ne se borna pas, d’ailleurs, à l’honneur de l’impression. La pièce fut représentée, en 1747, à Strasbourg et à Francfort, et, à ce que nous assure Gottsched, aux applaudissemens des spectateurs. Les lecteurs de Goethe se rappelleront peut-être que Wilhelm Meister avait trouvé la Deutsche Schaubühne dans la bibliothèque de son grand-père, et que Chaumigrem, le tyran de la tragédie de Grimm, figure parmi les personnages du théâtre de marionnettes. Une gloire à laquelle Grimm fut certainement plus sensible encore est la flatterie recherchée dont Banise fournit l’occasion à Frédéric. Le roi, la première fois qu’il reçut Grimm, l’accueillit en lui déclamant le commencement de la pièce et en y mettant une verve dont le souvenir, longtemps après, attendrissait encore l’auteur. On se demande comment Frédéric, assez peu versé dans la littérature allemande, savait ces vers par cœur. Les avait-il appris tout exprès ? Un juge plus compétent, il faut le dire, s’était montré moins flatteur. Lessing rangeait Banise au nombre des pièces qu’il reprochait à Gottsched d’avoir fait fabriquer à la mode française au lieu de consulter le goût et le génie de sa nation. Mais à l’époque où Lessing s’exprimait ainsi, Grimm, nous le verrons, était devenu de l’avis de son critique et ne demandait pas mieux que de brûler lui-même ce qu’il avait adoré.

Grimm avait tiré le sujet de sa tragédie d’un roman d’aventures chevaleresques, la Banise asiatique, ou le Pégu sanglant mais triomphant. Cet ouvrage, d’un auteur célèbre du siècle précédent, Anselm von Ziegler, avait eu une vogue extraordinaire en Allemagne. Outre les nombreuses éditions qui en avaient été faites,