Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et apprécier le talent de celui-ci, c’est aux vingt années précédentes, c’est-à-dire à huit volumes environ sur les seize de l’édition nouvelle, que nous devons nous en tenir. L’importance de cette distinction est mise dans tout son jour par l’erreur où, faute d’avoir été averti comme nous le serons désormais, Sainte-Beuve est tombé dans ses articles des Lundis. Il y attribue à Grimm, sur Shakspeare et Montaigne, sur Duclos et Rousseau, des jugemens qui datent d’une époque où Grimm était devenu étranger à la Correspondance. Le morceau sur Montaigne, en particulier, que Sainte-Beuve qualifie de délicieux, porte visiblement l’empreinte d’une autre manière. Il est plus délicat que n’était Grimm, et moins échauffé que n’était Diderot; je n’hésite point, pour ma part, à le mettre au compte de Mme d’Épinay, une fine et charmante plume et qui ne me semble pas estimée à son prix[1].

Aux obligations que nous avons à M. Tourneux pour la manière dont il a rempli ses fonctions d’éditeur, nous devons ajouter un texte beaucoup plus complet que celui des éditions précédentes, un grand nombre de lettres jusqu’ici dispersées dans d’autres publications ou inédites, l’abondance des notes, enfin et surtout une table générale à laquelle, après un long usage, je n’ai véritablement pas grand’chose à reprocher. C’est dans cette table qu’on trouvera l’indication, au moyen d’un astérisque, des morceaux qui paraissent aujourd’hui pour la première fois. A la bonne heure! mais pourquoi ne pas avoir plutôt fourni cette indication dans le cours de l’ouvrage, en tête de chacun des articles qu’elle concerne? M. Tourneux s’est ainsi fait tort à lui-même en dissimulant tout ce que son édition présente de vraiment nouveau. Comment aussi ne pas regretter que la table des noms propres n’ait pas été suivie d’un index des sujets traités dans ces volumes? Un pareil travail aurait considérablement facilité l’usage d’un livre destiné à être consulté plutôt qu’à être lu. Quant à la biographie de Grimm, M. Tourneux n’a pas cru devoir ou pouvoir l’aborder ; nul, cependant, n’était mieux en état que lui de combler cette lacune de notre littérature, et j’avoue que je lui en veux un peu de m’en avoir laissé le soin.


I.

Frédéric-Melchior Grimm naquit à Ratisbonne, le 26 septembre 1723. « Je suis né, dit-il quelque part dans la Correspondance, citoyen

  1. Une indication du manuscrit de Gotha paraît attribuer l’article dont il s’agit à Meister, mais Meister déclare lui-même qu’il arrangeait à sa façon les pages que lui fournissait Mme d’Épinay, et telle a été vraisemblablement ici la part des deux écrivains.