Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destinée à être secrète et qui l’est restée, en effet, jusqu’en 1812. On comprend dès lors ce qui est arrivé. Le Grimm que nous connaissons avait échappé à ses contemporains. Ses débuts, à la vérité, avaient été brillans, ses premiers succès assez vifs, mais il s’était ensuite condamné à une sorte de retraite; il y avait disparu, et les révélations qui ont fait de Grimm, pour nous, l’une des figures du XVIIIe siècle sont postérieures à l’existence de la société qui personnifie ce siècle à nos yeux. La célébrité de Grimm est une célébrité posthume. Ajoutons que, pour nous-mêmes, elle est jusqu’ici restée dans le demi-jour. Grimm a été longtemps négligé au milieu des recherches dont l’époque où il vivait est devenue l’objet. Aucune étude importante ne lui avait été consacrée, sauf deux articles de Sainte-Beuve, en 1853, articles d’un grand prix comme tout ce qui est sorti de cette plume, mais dans lesquels le critique s’était exclusivement attaché aux jugemens littéraires de son confrère et précurseur. Le fait est qu’on manquait d’informations suffisantes. Une sorte d’anonymat continuait à peser sur le personnage. On avait à peu près dit tout ce que l’on en savait lorsqu’on avait résumé les récits de son ennemi et de sa maîtresse, et, quant à la Correspondance, personne n’était d’humeur à faire de ces nombreux volumes l’analyse rigoureuse, le dépouillement complet sans lequel il était impossible d’apprécier le penseur, le critique, l’écrivain, et, sous ces diverses faces, de retrouver l’homme.

Hâtons-nous de reconnaître qu’il n’en est plus ainsi. Plusieurs découvertes sont venues coup sur coup, et par une coïncidence inopinée, nous fournir une partie des renseignemens qui nous faisaient défaut.

On ne saurait proprement ranger au nombre des sources récemment ouvertes l’ouvrage allemand de M. Danzel sur Gottsched et son Temps, qui a paru en 1848, mais ce qui est vrai, c’est qu’on avait jusqu’ici négligé d’y chercher les passages qui concernent Grimm. Gottsched avait exercé une influence considérable sur la littérature de son pays. Il en avait été le législateur, l’oracle. Il reste comme le principal représentant de l’époque où régnaient les règles, et où ces règles consistaient dans l’imitation de nos écrivains du XVIIe siècle. Ce rôle, soutenu par une incessante activité et de nombreux ouvrages, avait donné au professeur de Leipzig une certaine notoriété de notre côté même du Rhin. Il ne faut donc pas s’étonner de rencontrer dans le volume de M. Danzel un chapitre consacré aux relations de Gottsched avec les hommes de lettres de notre pays, et moins encore de trouver dans ce chapitre des lettres de Grimm, puisque celui-ci avait connu Gottsched avant d’arriver à Paris. Ces lettres ont un double prix pour nous : elles sont