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drapeau, et M. de Bismarck, il faut l’avouer, l’a aidé à sortir de ce mauvais pas en ménageant la fierté espagnole, en s’abstenant de toute parole impérieuse et irritante. Le cabinet de Madrid a écrit une dépêche par laquelle il a donné simplement, franchement les satisfactions les plus complètes au gouvernement de l’empereur Guillaume, et cette dépêche a été enregistrée sans commentaire dans le journal officiel de Berlin. De ce côté, l’incident semble clos. Est-ce à dire que tout soit terminé ? La question reste évidemment entière ou à peu près entre l’Espagne maintenant ses droits de souveraineté sur les Carolines et l’Allemagne persistant dans sa politique, dans l’intention de protéger efficacement son commerce et ses nationaux dans l’archipel lointain. Il y a là toujours une difficulté à résoudre, peut-être une transaction à trouver pour garantir les intérêts allemands sans remettre en contestation les droits traditionnels auxquels l’Espagne s’est encore plus attachée depuis qu’elle les a vus menacés. C’est l’œuvre de la diplomatie ; mais ici a éclaté subitement un coup de théâtre certes assez inattendu. On avait parlé d’un arbitrage, d’une médiation que le cabinet de Madrid hésitait à accepter. M. de Bismarck, allant droit au but et tranchant la question avec sa hardiesse ordinaire, a proposé tout simplement de déférer l’arbitrage ou la médiation au souverain pontife, au pape Léon XIII en personne. Que le ministre tout-puissant d’un gouvernement protestant, auteur des lois de mai contre l’église allemande, n’hésite pas à invoquer comme médiateur un pontife dépouillé de sa souveraineté temporelle, mais grand encore dans son asile du Vatican et surtout respecté pour son esprit politique, pour sa sagesse, pour sa modération, c’est là, certes, un des actes les plus imprévus. M. de Bismarck y trouve peut-être son intérêt pour ses élections prochaines, le pape y trouve un hommage dû à ses vertus, et l’Espagne catholique à son tour ne pouvait évidemment refuser un tel médiateur. C’est donc au Vatican que la question des Carolines est désormais portée, et il serait difficile désormais que ce conflit, qui a fait un moment tant de bruit, qui a failli mettre aux prises deux nations, finît autrement que par une transaction et par la paix, sous les auspices du plus éclairé des pontifes.

CH. DE MAZADE.