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elle n’est plus indécente. Je supplie donc le lecteur, s’il en a le courage, avant de s’emporter contre la chanson de café-concert, de relire un peu son Béranger. La chanson de café-concert est la chanson de Béranger, dont il a suffi de grossir quelques traits ou d’en atténuer quelques autres, pour l’accommoder à la juste optique de la scène. Mais c’est bien la même chanson, ce sont bien les mêmes sujets, et surtout c’est bien au même public parisien et français qu’elle s’adresse. « Épicuréisme grivois et à fleur de peau, comme on l’a si bien dit; absence complète de sens moral; impiété vulgaire, mais plus insouciante qu’agressive ; » entre les chansons de Béranger : la Grand? mère; Madame Grégoire; les Deux Sœurs de charité; Frétillon; la Descente aux enfers et nos couplets du jour, il n’y a de différence, à vrai dire, que ce qu’en a pu mettre un intervalle de bientôt soixante ou quatre-vingts ans écoulés. En passant, si l’on veut, par la Musette et la Phémie d’Henry Murger, — les Amanda de l’Alcazar et les Pétronille de l’Eldorado nous viennent en droite ligne de la Lisette et de la Camille du « bon » Béranger.

On me dira qu’il y a quelque chose d’autre et de plus dans les chansons du «poète national: » la chanson philosophique et humanitaire, par exemple, ou la chanson politique, ou la chanson patriotique. Et c’est vrai ; mais ne croyez pas que ces variétés mêmes manquent au répertoire de nos cafés-concerts. Il n’est pas de café-concert où l’on ne chante la chanson patriotique; et c’est même un « emploi » spécial, comme de chanter la tyrolienne.


Ils marchent crânement
Les gentils volontaires.;
Lorsque le régiment
Se met en mouvement,
Peut-on voir vos bannières
Et vos têtes si chères
Sans tressaillir,
Soldats de l’avenir!


Y a-t-il rien de plus plat? mais je ne puis trouver cela sensiblement inférieur au refrain de Béranger :


Gai! gai! serrons nos rangs,
Espérance
De la France,
Gai ! gai ! serrons nos rangs,
En avant, Gaulois et Francs !


Les Volontaires, vieux de deux ou trois ans déjà, ne doivent plus se chanter aujourd’hui qu’en province ; Nos Fantassins et Sachez dépenser vos vingt ans pourraient bien être de cette année même.