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s’entendre avec lui, et ils se sont appliqués à conquérir ses faveurs par leurs empressemens ; la plupart s’en sont mal trouvés. Il y a dans le monde des amours bien dangereuses, qui conduisent à de fatales aventures. Darwin raconte, dans son Traité de la sélection sexuelle, que, dans certaines espèces d’araignées, dont il vante du reste l’intelligence et même les vertus, la femelle joint la coquetterie à la férocité, qu’elle prend plaisir à se laisser courtiser et qu’elle hésite longtemps avant d’arrêter son choix. Il remarque aussi que, dans ces espèces, le mâle est d’ordinaire beaucoup plus petit que la femelle et qu’il doit observer la plus grande prudence en lui faisant sa cour, crainte d’accident fâcheux. Un observateur digne de foi a vu « un de ces mâles qui, au milieu de ses caresses préparatoires, fut saisi par l’objet de ses amours, enveloppé dans une toile et dévoré, spectacle qui remplit le naturaliste d’indignation et d’horreur. » Ne put-on pas croire que tel avait été le sort du chef éminent des nationaux-libéraux, M. de Bennigsen, lorsque, à la suite d’un voyage à Varzin, il disparut subitement de la scène politique? Mais il vient de rassurer ses amis en reparaissant tout à coup. Il les a harangués récemment à Hanovre; il les a engagés à être modérés dans leurs désirs comme dans leurs prétentions, à se défier des entraînemens de l’esprit de parti, et il a joint à ces sages conseils les témoignages les plus chaleureux de son admiration pour le chancelier de l’empire. Tant l’âme d’un national-libéral est au-dessus des basses rancunes !

Aucun accord, aucun marché n’est possible entre les progressistes et M. de Bismarck. Qu’ont-ils à lui offrir et que peut-il leur accorder? Ils ont un goût prononcé pour la monarchie parlementaire, et il a pour principe que la république existe de fait dans tout pays où le roi peut être contraint par son parlement à faire quelque chose qu’il ne ferait pas de son plein gré, que tout souverain que le vote d’une majorité oblige à nommer un ministre qui n’a pas sa confiance n’est plus qu’un président héréditaire, — et qu’importe qu’il soit héréditaire ou électif? L’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, ne sont que des républiques déguisées, et en vain M. Richter proteste-t-il de son attachement à la dynastie des Hohenzollern, il sera toujours convaincu de n’être qu’un républicain et un révolutionnaire. M. de Bismarck reproche ouvertement aux progressistes de s’appliquer à ruiner l’institution monarchique par leurs calomnies et leurs dangereuses agitations. Il les accuse d’être les ennemis de l’état, des fauteurs de troubles et de séditions, et d’avoir dans leur cœur a une chambre secrète, » où se cachent des desseins pervers, des haines inavouables et des joies criminelles. « Je sais qui vous êtes, leur dit-il, et c’est au nom de mon roi que je vous combats, comme soldat et comme sujet allemand de mon souverain héréditaire. » Et quand ils répondent à ses provocations par des coups de sifflet : « Sifflez, messieurs, vous vous sentez touchés.