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à lui et à son fils, il n’en est pas une qui, aussitôt l’orage passé, n’ait reconstruit ses tatas et gorgé de balles les longs fusils.

Donc la race conquérante et musulmane est en minorité parmi les races idolâtres ; elle ne les maintient sous le joug que par des dragonnades perpétuelles et elle n’occupe réellement que le pays traversé par ses escadrons. Sans doute cette situation, si elle pouvait se prolonger un siècle, amènerait à la fin la soumission des tribus et leur conversion à l’islamisme : le Soudan occidental ressemblerait alors au Soudan oriental. Mais maintenant nous sommes là : à la force des oppresseurs nous pouvons opposer la nôtre, à leur cavalerie dévastatrice nos colonnes volantes. Nous assistons dans ces régions à un phénomène vraiment nouveau : pour la première fois, l’islamisme recule. Le siège de Médine a marqué le terme de ses exploits sur le moyen Sénégal ; la chute du Mourgoula lui a fait évacuer le Bakhoï; dans le Bélédougou, à Bammako, partout il nous cède la place en frémissant. Après le général Faidherbe, le colonel Borgnis-Desbordes a été comme un Charles Martel du Soudan occidental, et nos petits combats du Haut-Niger ont été comme une bataille de Poitiers.

On ne peut pas dire que l’islamisme ne fera plus de progrès ; mais il n’en fera plus par la force, et, dès lors, ils seront infiniment plus lents. Nous pourrions même à sa propagande opposer une victorieuse concurrence. Pour cela, il faudrait nous dépouiller de certains préjugés, comprendre que les races africaines ont nécessairement certaines étapes à parcourir dans leur évolution intellectuelle, que celles du Soudan, suivant une loi historique inéluctable, passeront du fétichisme à une religion monothéiste, car nos ancêtres eux-mêmes ont suivi cette marche et les Bambaras ne sauraient être mieux doués que les vieux Gaulois. Or, monothéisme pour monothéisme, ne vaudrait-il pas mieux, dans l’intérêt de notre influence, de notre domination, de notre commerce même en ces régions, que des missionnaires chrétiens et français prissent la place de missionnaires musulmans et toucouleurs ?

En second lieu, l’organisation ébauchée par les Toucouleurs en ces régions n’a aucune solidité. L’empire créé par El-Hadji n’a jamais été un état : ce n’était qu’un patrimoine. A sa mort, il s’est morcelé entre ses fils, qui, étant nés de mères différentes, ont été les uns pour les autres leurs plus dangereux ennemis. Ahmadou, fils d’une femme esclave, a eu d’abord à se défendre contre ses frères Abibou et Moctar, fils d’une princesse du Haoussa. Il les a vaincus et faits prisonniers : ils sont morts dans les cachots de Ségou. L’unité de l’empire ne s’est pas rétablie pour cela : Ahmadou n’est réellement le maître que de Ségou ; il l’est nominalement de Nioro et de