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compromis, fut laissé en liberté. C’était à lui, s’il voulait sauver la vie de ses deux amis, de mettre tout en œuvre pour arrêter la marche de Fabou. Il n’y réussit pas, et les deux conspirateurs furent passés par les armes.

Nous étions comme prisonniers dans Bammako. Notre ligne de ravitaillement était au pouvoir de l’ennemi, les fils télégraphiques qui nous reliaient à Kita et à Saint-Louis étaient coupés ; des bandes de cavaliers rançonnaient les villages qui avaient accepté notre protectorat et nous enlevaient un troupeau de bœufs. La colonne avait été réduite par les maladies, les pertes faites à Daba. Elle était épuisée par les fatigues, les travaux du fort. Il fallait chercher à se dégager. Le capitaine Piétri, avec une quarantaine d’hommes, fut chargé de relever la ligne télégraphique et de parcourir le Bélédougou, où des symptômes de défection, sous la terreur qu’inspirait l’approche de Samory, s’étaient manifestés.

Le 2 avril, l’avant-garde de Fabou eut d’abord une escarmouche avec une quinzaine de spahis que le colonel avait envoyés en reconnaissance ; elle fut ramenée vivement sur le marigot de Oueyako, où les spahis se trouvèrent en présence d’un corps de 3,000 hommes d’élite, établis dans des positions excellentes. Le colonel s’y porta aussitôt : il n’avait alors que 242 combattans. Nos tirailleurs et les ouvriers d’artillerie, lancés en avant, repoussèrent l’ennemi jusqu’au-delà du marigot; mais bientôt les Français furent débordés sur la gauche, puis sur la droite, et forcés de reprendre une position défensive. Le feu de l’ennemi était très nourri, la chaleur accablante ; les soldats européens n’avaient plus la force de mettre en joue et les chevaux des spahis se tenaient à peine debout. Vers midi, les cartouches commencèrent à manquer.

Une dernière charge des spahis avait réussi à dégager notre droite; au centre, on forma le carré; les blessés eux-mêmes, descendus de leurs cacolets, durent reprendre le fusil. L’ennemi cependant avait fait des pertes cruelles ; il laissa la colonne opérer sa retraite en bon ordre et rentrer à Bammako. On avait tiré 8,368 coups de fusil et 25 coups de canon. On avait 2 disparus, 1 tué et 20 blessés. Cela paraît peu ; mais c’était le dixième de l’effectif.

Le 9 avril, le capitaine Piétri rentra avec ses hommes, ayant partout battu les Samoristes, pacifié le pays, brûlé un village insurgé et même repris le troupeau de bœufs. Avec le renfort qu’amenait M. Piétri, le colonel reforma une colonne de 371 combattans, y compris les hommes légèrement blessés ; il leur adjoignit 200 fantassins et 20 cavaliers bambaras. Le 12, il alla présenter la bataille à Fabou, encore au marigot d’Oueyako.

On vit alors que l’affaire du 2 n’avait point été pour nous une défaite : les troupes de Fabou y avaient fait de telles pertes et en