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et auprès duquel résidait un envoyé d’Ahmadou nommé Suleyman : c’était un foyer d’intrigues contre nous, et, cependant, le village occupait la route qui menait au Niger. Mourgoula était un des quatre points du quadrilatère de villages fortifiés, occupés par des colonies de Toucouleurs, dans des positions fort bien choisies, à l’aide duquel El-Hadji avait établi sa domination sur le Haut-Sénégal : les trois autres postes étant Koniakari, Sabouciré et Koundian. Pour le moment, comme ses instructions lui prescrivaient de ménager le sultan de Ségou, le colonel eut un entretien avec les deux chefs de Mourgoula et, après des récriminations de part et d’autre, réussit à les intimider suffisamment pour que sa marche sur Kéniéra ne fût pas inquiétée. Il était tout entier au désir de sauver cette ville et de frapper un coup qui détruisît le prestige que Samory commençait à acquérir dans le pays. On traversa les villages de Niagassola, de Nafadié, où l’accueil fut très froid, à cause de la terreur qu’inspirait ce chef. On franchit le Niger, le 25 février 1881. On décida 4 ou 500 guerriers du Kourbaridougou à accompagner la colonne. Enfin on arriva en vue de Kéniéra : malheureusement, la ville était prise depuis plusieurs jours et la population en partie massacrée. Le colonel ne put qu’attaquer et enlever les quatre camps, dont les gens de Samory avaient entouré la place assiégée. À ce moment, le colonel n’avait plus que 200 hommes en face de plus de 4,000 ennemis, pour la plupart excellens cavaliers. Le tir allongé de nos fusils et de nos obusiers les maintenait à une distance respectueuse. Un danger plus grand, c’était l’épuisement des munitions et des vivres, une lassitude extrême des hommes et des chevaux. On se décida à repasser le Niger. Sur la rive gauche, on eut encore un engagement contre les cavaliers de Samory ; nos spahis et surtout nos tirailleurs d’arrière-garde les repoussèrent brillamment. Quand la colonne fut rentrée à Kita pour reprendre la route de Saint-Louis, elle avait fait 545 kilomètres dans un pays jusqu’alors inconnu, passé et repassé le Niger, livré deux combats heureux et déployé victorieusement le drapeau tricolore dans le Soudan, autrefois plein de mystères.

La troisième campagne, celle de 1882-83, s’ouvrit avec 542 combattans, dont 302 Européens. Cette fois, M. Borgnis-Desbordes résolut d’en finir avec Mourgoula. Le 22 décembre, à dix heures du matin, il arriva devant le tata. Il enjoignit aux notables du village de venir le trouver. Ils obéirent, ayant à leur tête le fils de l’almamy et Suleyman. « Aujourd’hui, je ne discute plus, dit le colonel, je donne des ordres. » Il leur rappela de quelles marques d’amitié et de confiance il les avait comblés et de quelle façon ils y avaient répondu : fausses nouvelles à l’aide desquelles on avait cherché à