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trois mois à toutes les forces du pays, et c’était vraiment une forteresse redoutable, imprenable à toutes les armées du Soudan. Derrière les murailles, on entendait les chants des griots ou sorciers et les cris de guerre. A peine arrivé en face de l’angle nord-est, le colonel mit en batterie ses quatre obusiers. A dix heures, le feu s’ouvrit ; la muraille fut criblée et dentelée par les projectiles, mais resta debout. Il n’y avait plus que onze obus à tirer. Le capitaine de la batterie, M. Du Demaine, proposa alors d’ouvrir une brèche à coups de pioche, moyen désespéré et qui pouvait coûter bien des vies. Le colonel ordonna de continuer le tir. Enfin, un pan de la muraille tomba et combla le fossé. La colonne fut aussitôt lancée à l’assaut : deux des tatas intérieurs succombèrent en moins d’une heure, mais le troisième, où s’étaient réfugiés les plus vaillans guerriers, fit une résistance furieuse. Nos alliés de Kita s’étaient bien gardés de prendre part à l’assaut ; mais, quand le village fut conquis, ils s’y précipitèrent. L’ennemi avait perdu plus de 300 hommes ; nos pertes étaient de 5 tués, 24 blessés, plus le lieutenant Pol, qui fut atteint mortellement à l’assaut du troisième tata, et le capitaine Marchi, qui mourut quelques jours après par suite de fatigues excessives. Les tombes de ces deux vaillans officiers s’élèvent de chaque côté de la porte principale du fort de Kita.

Le but de l’expédition, par la fondation de Kita, par la prise de Goubanko, et enfin par la mise en liberté de la mission Gallieni, se trouvait atteint. La colonne rentra à Médine, ayant parcouru 756 kilomètres à pied, sans compter 800 kilomètres sur les embarcations.

La deuxième campagne, celle de 1881 à 1882, fut contrariée à ses débuts par l’épidémie de fièvre jaune, qui, à Saint-Louis, désorganisa toutes les administrations civiles et militaires. L’effectif de la colonne était à peu près le même.

A Bafoulabé, le colonel eut à régler les comptes du village de Mahina. A la nouvelle de l’épidémie de Saint-Louis, les noirs s’étaient dit qu’il n’y avait plus de blancs dans le pays et qu’on pouvait piller impunément ses voisins. « Vous restituerez tout ce que vous avez pris, leur fit dire le colonel, ou votre village sera rasé. » Ils restituèrent et firent d’humbles excuses. Il en fut de même au village de Kalé, qui avait pillé une caravane.

A Kita, on retrouva la forteresse en bon état, entourée de cultures, grâce aux soins de son commandant, le capitaine Monségur. Là, on apprit qu’un chef musulman, nommé Samory, à la tête d’une armée de Toucouleurs, dévastait le Manding et assiégeait Kéniéra. De plus, Mourgoula, gros bourg fortifié à 63 kilomètres sud-est de Kita, était administré par un almamy qui était un ancien captif d’El-Hadji