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de s’arrêter. Là, il se trouva l’hôte, ou, si l’on veut, le prisonnier du sultan. Arrivé à Nango en mars 1880, il ne devait en sortir, pour reprendre la route de Médine, qu’en mars 1881.

L’histoire de la mission de Mage, qui avait dû séjourner deux ans chez Ahmadou, se reproduisit, pour la mission Gallieni, presque mot pour mot. La seule différence est que M. Gallieni ne parvint pas à la capitale et qu’il ne vit jamais Ahmadou. Celui-ci, sollicité de donner audience, inventait délai sur délai, trouvait cent prétextes, invoquant tantôt les préparatifs d’une expédition, tantôt un voyage urgent, tour à tour accablant ses hôtes de protestations d’amitié et d’envois de vivres, ou les laissant sans nouvelles et presque sans ressources, se récriant quand ils demandaient s’ils étaient ses prisonniers, mais suscitant quelque difficulté quand ils voulaient partir, promettant toujours ce traité, qu’on ne voyait jamais.

Tout à coup, en février 1881, arrivèrent des nouvelles qui secouèrent l’indifférence affectée du sultan. Une armée française était arrivée à Kita et avait pris d’assaut le tata de Goubanko. C’était la colonne du colonel Borgnis-Desbordes qui faisait son entrée en scène. L’impression fut vive à la cour de Ségou. A Nango, le 28 février, à minuit, M. Gallieni fut éveillé par un de ses tirailleurs, qui accourait tout essoufflé de cette ville, avec un courrier du sultan. Le tirailleur apportait, outre les nouvelles en question, des propos alarmans. Dans le conseil que le sultan avait réuni en toute hâte, un marabout avait proposé, puisque les blancs se conduisaient ainsi, de couper la tête à leurs ambassadeurs. Ahmadou était trop avisé pour suivre un tel conseil. Il s’était contenté d’envoyer ce courrier à M. Gallieni pour lui communiquer les nouvelles et lui demander son avis. Celui-ci était exaspéré d’une si longue détention, sans nouvelles ni du Sénégal ni de la France, affaibli par des attaques de fièvre, privé de tout médicament pour ses blessés et pour lui. Il montra en cette occasion beaucoup de sang-froid et une hardiesse qui était de l’habileté. Il écrivit de sa meilleure encre au cauteleux monarque :


Les nouvelles que tu as reçues ne m’étonnent nullement, et il y a longtemps que je t’ai prévenu que nos affaires se gâteraient en ne nous renvoyant pas à Saint-Louis. Tu n’as pas voulu m’écouter ; tu as même refusé de me laisser écrire au gouverneur. Tu as mal agi envers les ambassadeurs qui t’étaient envoyés, en retardant leur départ, sans avoir égard à leur état de fatigue, à leurs maladies, aux blessés qu’ils avaient avec eux et aux ordres qu’ils avaient reçus de leur chef du Sénégal. Penses-tu que la grande nation française oublie facilement une injure comme celle qui nous a été faite dans le Bélédougou?