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si facile à couper, excitait les convoitises et réveillait les vieux instincts de brigandage. Pour être habituellement pillé par les Toucouleurs, on n’en est pas moins enclin à piller les passans. Déjà, au village d’Ouoloni, le docteur Tautain, laissé un moment à la garde des bagages, ne les avait sauvés que par l’énergie de son attitude et la menace de son revolver. A Guinina, le chef interdit aux voyageurs l’entrée de son tata, les obligea à camper en rase campagne. A Dio, même accueil ; le tata resta fermé, et, derrière les murailles en terre glaise, on entendit des bruits d’armes et des dialogues inquiétans. Après une nuit passée encore en plein air, la mission se remit en route par des chemins difficiles, des bois, des défilés, qui obligeaient la file des bêtes de somme à s’allonger indéfiniment. M. Gallieni avait réparti ses forces actives en deux groupes, placés à la tête et à la queue de la caravane. C’était le 11 mai 1880. Tout à coup, au passage d’un ruisseau, la fusillade pétilla dans le fourré ; 2,000 nègres se ruèrent sur la petite colonne, la rompirent par le milieu. En tête, M. Gallieni, en queue, M. Tautain, séparés l’un de l’autre par près de 500 mètres, firent une résistance énergique. Le premier réussit à gagner les ruines d’un tata abandonné, s’y retrancha, y reforma son monde, puis exécuta une sortie pour dégager son arrière-garde. On n’était plus qu’à quelques lieues du Niger : le mieux était de continuer la route en protégeant la retraite. On abandonnait la majeure partie du convoi, 15 tués, 7 hommes disparus ; les bêtes de somme qui restaient avaient à transporter 16 blessés. La nuit interrompit la poursuite des Bambaras, et le lendemain on arriva en vue du Niger et de Bammako. Les lieutenans Vallière et Piétri, qui, quelques jours auparavant, avaient été détachés pour explorer le pays, étaient déjà à Bammako. Bien que ce gros village fût partagé entre deux factions, celle des Bambaras, qui nous était acquise, et celle des commerçans maures, à qui les Français ne pouvaient être que suspects, la mission y fut bien accueillie.

L’échauffourée de Dio était si bien un contresens, étant donné les intérêts qui devaient rattacher à nous les populations opprimées par Ahmadou, elle témoignait si peu d’une hostilité générale des Bambaras, qu’à travers un pays de même race, le Manding, le docteur Bayol put, sans escorte et sans encombre, ramener à Médine soixante âniers dont M. Gallieni voulait alléger la colonne. Celui-ci, bien qu’il eût perdu les présens destinés au sultan, résolut de poursuivre sa mission jusqu’au bout. Accompagné de MM. Vallière, Piétri, Tautain, et d’une cinquantaine d’hommes qui lui restaient, convoyant ses blessés, il se mit en route sur Ségou. Mais, à 40 kilomètres de cette capitale, à Nango, un ordre d’Ahmadou le contraignit