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dont deux indigènes, un escadron de spahis, mi-parti indigène, deux batteries d’artillerie et quelques autres petits corps. Il faut y ajouter le concours qu’ont prêté, dans nombre de campagnes, les volontaires de Saint-Louis, de Podor, de Bakel, qui sont en grande majorité des nègres et des gens de couleur. Les laptots, ou mariniers indigènes du fleuve, ont été des auxiliaires précieux. Il est à noter que l’élément natif, tirailleurs, spahis, laptots, volontaires, a été d’une fidélité qui ne s’est jamais démentie, bien qu’il y ait parmi eux beaucoup de musulmans. Dans deux ou trois circonstances seulement, il a fallu avoir recours soit aux forces supplémentaires de la métropole, soit à celles de l’Algérie, qui, en 1860, a renforcé les troupes sénégalaises de trois compagnies de turcos et d’un peloton du train des équipages.

Ces guerres, bien que poursuivies en général avec des effectifs très restreints, ont eu un théâtre extrêmement étendu. On a exécuté des marches prodigieuses sous un ciel ardent, campé en des lieux malsains, manqué souvent d’eau potable. On a lutté non seulement contre les hommes, mais contre une nature exubérante et, grâce aux ardeurs du soleil combinées avec l’abondance des eaux, grouillante de vie. Rien de pittoresque comme certains détails des expéditions : tantôt les chemins se trouvent défoncés par suite du passage de bandes d’éléphans, tantôt les bivouacs sont tenus en alerte par le rugissement des lions ou le grognement des hippopotames dont on occupe, au bord du fleuve, le campement habituel. Des caïmans dévorent les cadavres des Toucouleurs tués sous Médine. Des nuées d’abeilles, dérangées par le passage des convois, mettent en déroute conducteurs et bêtes de somme. Des sangliers, chassés du fourré, éventrent des chevaux; des girafes et autres grands animaux renversent les poteaux télégraphiques ; des serpens venimeux infestent les sentiers. Il y a terriblement de bêtes dans tout cela.

Les nègres, comme les Maures, ont leur façon particulière de combattre. Ils sont assez bons tireurs, mais leur manie de mettre plusieurs balles dans les longs fusils, « d’autant plus de balles qu’ils sont plus en colère, » nuit beaucoup à l’effet de leur tir. Comme tous les peuples primitifs, ils se laissent terrifier par le feu des armes perfectionnées, par le grondement du canon, les charges impétueuses de la cavalerie. Cette terreur devient parfois de l’admiration. On cite un indigène qui, ayant eu la figure balafrée par un de nos spahis, pris d’enthousiasme pour ce magnifique coup de sabre, dès qu’il fut guéri, courut à Saint-Louis pour se faire engager dans l’escadron. Encadrés dans nos corps, bien armés, bien disciplinés, bien commandés, les noirs deviennent d’admirables soldats : c’est