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théâtre pour jouer les pièces de M. Pradon ; et d’ailleurs ils y auront une commodité, c’est que, quand le souffleur aura oublié d’apporter la copie de ses ouvrages, il en trouvera infailliblement une bonne partie dans les précieux dépôts qu’on apporte tous les matins en cet endroit. » A-t-on remarqué combien les plus honnêtes gens du XVIIe siècle aiment ce genre de grosse plaisanterie? Avec les femmes et leurs malices, ils ont dans les plus humiliantes nécessités de notre nature, la maladie et son cortège maussade, les ordonnances de M. Purgon et l’instrument de M. Fleurant, un thème favori, inépuisable; Molière surtout en a trop usé, et, pour en sortir, il faut descendre jusqu’au milieu du siècle suivant.

Enfin, après un an de vaines recherches, la Comédie parvient à trouver un emplacement rue Neuve-des-Fossés-Saint-Germain-des-Prés : elle achète, le 8 mars 1688, le jeu de paume de l’Étoile et se met à y bâtir. Il lui en coûta près de 200,000 livres, somme énorme pour le temps, et qui greva son budget pour de longues années. Emprunt, constitution des intérêts et de l’amortissement, conduite des travaux, installation, c’est encore La Grange qui pourvoit à tout, ou, du moins, prend la direction de tout, comme en témoigne un autre registre de sa main, non publié, celui-là, que conservent les archives de la Comédie-Française et où se retrouve, avec une remarquable entente des affaires, sa modestie habituelle. Voici comment, par exemple, il s’excuse de n’avoir pu payer de sa personne en un moment où, les travaux déjà commencés, un nouvel obstacle surgissait par l’opposition du curé de Saint-Sulpice, qui « se déchaînoit d’une manière qui ne lui étoit pas avantageuse. » Seignelay a mandé les comédiens à ce propos, et La Grange écrit : « Nous passâmes une méchante nuit et avec bien de l’inquiétude. Le lendemain, à sept heures du matin, M. Le Comte et Raisin allèrent recevoir ses ordres (j’étois malade). » Le curé en fut pour son déchaînement, et, le 18 avril 1689, la Comédie commençait ses représentations dans la nouvelle salle, où elle devait rester jusqu’en 1770, pour de là se transporter aux Tuileries, puis dans le théâtre devenu l’Odéon, et enfin s’établir dans celui où elle est encore.

La récompense de ce zèle à toute épreuve fut, pour La Grange, une autorité toujours grandissante sur ses camarades, une sympathie et un respect affectueux de la part de tous, sans qu’il ait jamais songé à en profiter dans un intérêt personnel ; du pouvoir il ne voulut que les charges sans les avantages : il ne prit aucun titre particulier, il ne fit pas augmenter sa part. C’est à lui que sont adressés les ordres de la cour, et ils sont rédigés avec une politesse particulière ; c’est lui qui sert d’intermédiaire à la compagnie avec les représentans de l’autorité royale : l’intendant des Menus-Plaisirs,