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intime sur un événement de cette nature, non par une réflexion, mais par la simple omission d’un signe. Lorsque la mère de sa femme, vient à mourir, il note strictement le fait sans dessiner le losange noir qui accompagne chez lui les décès. On devine par là, et par là seulement, que Marie Ragueneau lui avait apporté en mariage une belle-mère désagréable.

Il est aussi discret sur ses camarades que sur lui-même : leurs affaires personnelles, intrigues ou querelles, rivalités ou zizanies, il ne les critique jamais. Cependant il sait voir et juger avec autant de bon sens que de finesse; on devine qu’il n’est jamais dupe, à certaines façons de dire, irréprochables en elles-mêmes, mais où son opinion sur certains actes se laisse voir par cela seul qu’il les enregistre. Un jour, Armande avait eu un de ces caprices de jolie femme auxquels elle se livrait si volontiers. La Grange écrit : « Mlle de Molière ne voulut pas jouer. » Une autre fois, c’est Mlle de Brie qui fait manquer le spectacle : « Mlle de Brie fit la malade. » Même clairvoyance et même finesse pour les choses du dehors, dont il ne parle, je l’ai dit, que dans leur rapport plus ou moins direct avec le théâtre. En voici deux exemples réunis dans une même page du registre. Un jour, le marquis de Richelieu fait venir la troupe en visite. En apparence, c’est pour donner la comédie aux filles d’honneur de la reine ; en réalité, c’est pour l’offrir à la seule Mlle d’Argencourt, sa maîtresse, qui est du nombre. La Grange écrit : « M. le marquis de Richelieu arrêta la troupe pour jouer l’Ecole des maris devant les filles de la reine, entre lesquelles était Mlle de La Motte d’Argencourt. » On sait la générosité de Fouquet envers tous ceux qui contribuaient à ses plaisirs ; elle contrastait avec la parcimonie de certains grands seigneurs, des princes du sang eux-mêmes, qui payaient chichement, se mettaient en retard, parfois même ne payaient pas du tout. Aussi, après une visite au château de Vaux, La Grange fait-il à Fouquet les honneurs d’un caractère spécial, aussi gros que sa munificence, et il écrit : « Monsieur le surintendant donna 1,500 livres. » Mazarin, mourant, désire voir les Précieuses ridicules, alors dans leur nouveauté. Voici le compte-rendu de la représentation : « L’Étourdi et les Précieuses au Louvre, chez Son Eminence M. le cardinal de Mazarin, qui étoit malade dans sa chaise. Le roi vit la comédie debout, incognito, appuyé sur le dossier de la dite chaise de S. E. Nota que le roi vit la comédie incognito et qu’il rentroit de temps en temps dans un grand cabinet. Sa Majesté gratifia la troupe de trois mille livres. » On ne saurait marquer plus brièvement et d’une manière plus frappante l’attitude de petit garçon que Louis XIV conserva quelque temps devant son vieux ministre, D’autre part, Mazarin était avare ; on voit