Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que deux ans et demi sur quatorze. Pour les années postérieures à 1673, la série des grands registres est complète ; mais celui de La Grange, qui s’y réfère plusieurs fois, contient plus d’un détail intéressant qu’ils ne donnent pas. Au demeurant, il n’a pas du tout la physionomie d’un livre de comptes officiel ; ainsi, le plus souvent, on n’y trouve, pour les recettes et les dépenses, que les totaux sans le détail des additions qui les ont fournis. En outre, on voit aisément qu’il n’a pas été, bien s’en faut, tenu au jour le jour sans interruption. Les différences de l’encre et de l’écriture montrent par places que, lorsque La Grange en avait le loisir, il le mettait chaque soir au courant ; mais leur ressemblance pendant des pages entières montre aussi qu’il dut souvent revenir en arrière et rédiger d’un seul trait des mois, et peut-être des années. De là quelques menues erreurs; de là ce que M. Edouard Thierry appelle « le présent trop tôt instruit des faits du lendemain, » et certains résumés embrassant des périodes assez longues. Comme exemple de ces derniers, on peut citer toute la période antérieure à 1661, évidemment écrite après coup. Il semble que, la troupe de Molière s’affermissant chaque jour, le roi lui témoignant une préférence de plus en plus marquée, le génie de son chef promettant une longue suite de chefs-d’œuvre, La Grange ait eu la conscience qu’il se préparait en elle quelque chose de considérable et dont il valait la peine de noter les progrès. Il voulut donc en écrire la chronique, et, pour être complet, remonta jusqu’à l’origine. Enfin, nous avons, depuis quelques mois seulement, la preuve décisive que le registre était bien la propriété de celui qui l’a rédigé. Il résulte, en effet, d’une série de documens retrouvés par l’archiviste de la Comédie-Française, M. Georges Monval, qu’en 1785 il n’était pas encore sorti de la famille de La Grange ; offert à la Comédie, il fut acheté pour la somme de 240 livres, le 5 septembre de cette année-là. Depuis, il connut des vicissitudes fort dangereuses pour sa conservation : on le prêtait, et, en une seule fois, de 1790 à 1818, il resta vingt-huit ans hors du théâtre. A partir de cette dernière date, cependant, on commence à en comprendre l’inappréciable valeur et les historiens de Molière se mettent à l’étudier avec soin. Cela n’empêcha pas, dit-on, un ministre du second empire de l’emprunter une dernière fois et de le laisser toute une année exposé comme curiosité sur la table de son salon. Il ne court plus aujourd’hui de ces risques : enfermé dans une armoire spéciale, il n’est communiqué qu’à bon escient et ne sort jamais du cabinet de l’archiviste.

Ce n’est pas, précisément, l’œuvre d’un calligraphe, mais celle d’un homme doué, comme l’on dit, d’une « belle main, » écrivant posément, d’une écriture le plus souvent large et haute, parfois