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il est impossible que, défenseur de ses propres pièces, si attaquées, il n’ait pas trouvé souvent l’allusion mordante, le trait vibrant, qui faisaient le lendemain le tour de Paris. Cependant, dès 1664, il abandonna l’annonce à La Grange. Composer, faire répéter et jouer ses pièces, sans parler des ennuis de tout genre dont il était assailli, c’était assez pour qu’il désirât se décharger sur un auxiliaire sûr de cette part de son fardeau. Il n’eut pas à regretter son choix. Lorsque, la pièce finie, La Grange s’avançait, «l’air libre et dégagé, » conservant un juste milieu entre l’excès d’assurance et la modestie trop humble, la bienveillance du public venait, en quelque sorte, au-devant de lui : « Sans l’ouïr parler, écrit Chappuzeau, sa personne plaît beaucoup ; » s’il parle, comme il a « beaucoup de feu et de hardiesse, » il « régale » véritablement l’assemblée. C’est lui que semble désigner La Fontaine, lorsque dans son Ragotin, il parle de cet acteur


Si jeune, si bien fait, qui déclame si bien,
Qu’on aime tant, et qui, quand la pièce est finie,
Vient toujours saluer toute la compagnie
Et faire un compliment.


Avec la petite phrase de l’Impromptu, ces vers restent, pour le comédien-orateur, le plus bel éloge et le plus durable titre de gloire.

Dans plusieurs circonstances fort délicates, les complimens de La Grange furent assez remarqués pour que le Mercure se crût obligé de les reproduire. Ainsi à la mort presque soudaine de la reine Marie-Thérèse. La nouvelle de l’événement surprit les comédiens, le 30 juillet 1683, au moment où ils terminaient le prologue de la Toison d’or, de Corneille. Triste ironie de la destinée : cette pièce, que l’on venait de remonter avec un grand luxe de mise en scène, avait été composée en 1660, à l’occasion du mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne. Et tandis que, dans la salle Guénégaud, la Paix récitait, en l’honneur de la reine, des vers pleins d’espérance, que « l’Hyménée paraissoit, couronné de fleurs, portant en sa main droite un dard semé de lis et de roses, et en la gauche le portrait de la reine peint sur son bouclier, » on commençait dans les églises de Paris les prières de quarante heures pour le salut de la reine, déjà morte, et depuis longtemps délaissée. L’antithèse entre la fiction du théâtre et la réalité était par trop lugubre. Que faire, cependant? Continuer la représentation était impossible; rendre l’argent et renvoyer le public, sans lui dire pourquoi, eût provoqué un tumulte involontairement scandaleux; enfin, annoncer la nouvelle