Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des deux parts une grande importance à ce discours : « Quand l’orateur venoit annoncer, continue Chappuzeau, toute l’assemblée prêtoit un très grand silence, et son compliment court et bien tourné étoit quelquefois écouté avec autant de plaisir qu’en avoit donné la comédie ; il produisoit chaque jour quelque trait nouveau qui réveilloit l’auditeur et marquoit la fécondité de son esprit.»

L’orateur était chargé, en outre, de rédiger l’affiche ; et celle-ci n’était pas, comme aujourd’hui, une sèche nomenclature n’indiquant, sous la date du jour, que le titre de la pièce avec la distribution des rôles, mais un second petit discours, une sorte d’appel au public, aussi engageant que possible dans sa brièveté : « Elle entretenoit le lecteur de la nombreuse assemblée du jour précédent, du mérite de la pièce qui devoit suivre et de la nécessité de pourvoir aux loges de bonne heure, surtout lorsque la pièce étoit nouvelle et que le grand monde y couroit. » Un très petit nombre de ces affiches sont venues jusqu’à nous et il n’en est aucune que l’on puisse, avec certitude, attribuer à La Grange. En voici une, cependant, où il mit peut-être la main. Horriblement mutilée, restituée aussi péniblement qu’une inscription antique (encore a-t-il fallu renoncer à remplir trois lignes sur six), elle date des débuts de la troupe de Molière à Paris, entre 1658 et 1660 : « LES COMEDIENS DE MONSIEUR FRERE UNIQUE DU ROI. — Nous ne vous donnerons pas une mauvaise nouvelle en vous apprenant que (lacune) nous représenterons l’Héritier ridicule ou la Dame intéressée de Monsieur Scarron (lacune), avec Gor gibus dans le sac (lacune). Vous aurez sujet d’être satisfaits. — C’est au Petit-Bourbon à deux heures. » Il est difficile, le genre admis, d’être plus concis, plus modeste et plus simple.

Il est certain que toutes les « annonces » ne se valaient pas. Le rimeur Despagne ne craignait pas d’en caractériser une, qu’il avait entendue à l’hôtel de Bourgogne, par une proverbiale et pittoresque comparaison. Elle était, dit-il,


Comme l’épée de Mithridate,
Presque aussi longue, encor plus plate.


Cependant, parmi les orateurs en titre de nos anciens théâtres, plusieurs s’étaient fait une réputation d’éloquence. Ainsi Bellerose, Floridor, Hauteroche à l’Hôtel, Mondory, Dorgemont et La Roque au Marais. Quant à Molière, « il aimoit fort à haranguer, » nous apprend Mlle Poisson, et l’on devine ce que pouvaient être ses harangues. Si plusieurs anecdotes suspectes lui prêtent, en qualité d’orateur, des mots qu’il n’a certainement pas prononcés,