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d’Escarbagnas, un homme d’esprit qui couvre d’une fausse cour, rendue à la veuve très prétentieuse et très mûre d’un hobereau de province, un manège plus sérieux et plus digne de lui. Voici enfin Clitandre des Femmes savantes, qui résume avec éclat les traits divers de tous ses prédécesseurs : élévation de sentimens, passion respectueuse, élégance de manières, bonne grâce de langage. Jeté dans la plus difficile situation où se puisse trouver un amoureux, il s’y meut avec l’aisance du courtisan, et renverse, comme en se jouant, les obstacles accumulés autour de lui. Dans la famille où il veut entrer, tout le monde, sauf sa maîtresse, lui est hostile ; il se voit obligé de dire en face à une femme longtemps aimée qu’il ne l’aime plus, et, terrible affront, de la refuser lorsqu’elle s’offre elle-même; il doit, sans violence de langage, en observant la réserve qui s’impose dans la maison d’autrui, écraser de son mépris un rival entouré et soutenu par trois femmes idolâtres. Enfin, pour que rien ne manque à son triomphe et à la sympathie qu’il inspire, le dénouement lui fournit l’occasion de montrer la qualité morale que nous estimons le plus au théâtre chez un amoureux, un parfait désintéressement.

A côté de ces types essentiels, il en est d’autres, moins accusés, mais bien vrais eux aussi, et répandant leur variété sur les intrigues qu’ils animent. De ce nombre sont Clitandre, de l’Amour médecin, qui montre un visage riant et jeune sous le noir bonnet des Diafoirus et des Purgon ; Léandre, du Médecin malgré lui, qui sait plaire sous le costume encore plus maussade de M. Fleurant; Cléante, du Malade imaginaire, autre porteur de déguisement, mais d’un déguisement gracieux, celui de maître à chanter, et faisant éclater dans la triste chambre d’Argan, parmi l’odeur fade des tisanes et des remèdes, la chanson joyeuse de l’amour. Enfin, dans les Fourberies de Scapin, un dernier Léandre, l’amant de la rieuse Zerbinette, un gracieux étourneau, frère aîné, lui aussi, d’un héros de Regnard, le chevalier Ménechme.


II.

Intelligence, instinct de son art, moyens physiques, application laborieuse, La Grange avait tout ce qu’on peut souhaiter à un acteur pour remplir de tels rôles, si divers dans un même emploi. En rapprochant les représentations qui nous restent de lui dans les estampes des éditions de Molière, celles notamment de l’École des maris dans l’édition originale de 1661 et de Don Juan dans l’édition collective de 1682, on le voit de taille moyenne et bien prise, la tournure élégante, la figure fine, le sourire gracieux ; mais