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au naturel. Moins mûr et moins formé, comme aussi plus voisin de la classe bourgeoise, Horace de l’École des femmes pourra devenir un parfait courtisan, mais il ne l’est pas encore. Simple jouvenceau, il représente le premier éveil de la jeunesse et de l’amour jetés, pour leurs débuts, dans une intrigue amusante. Étourdi, exubérant, prompt aux confidences, d’une cruauté aussi inconsciente que celle de son Agnès, il marque, cependant, une étape décisive vers l’observation directe ; si, par la sincérité de ses sentimens, il est d’une vérité très générale, c’est bien par un rival ainsi fait que tel gros bourgeois de Paris se put voir enlever sa pupille aux environs de 1662.

Puis les grands chefs-d’œuvre se succèdent, et l’amoureux, étroitement mêlé aux sujets, se présente avec un relief de plus en plus marqué. Dans le héros du Don Juan, ce type effrayant de « grand seigneur méchant homme, » qui foule aux pieds, avec une perversité froide, la morale éternelle comme les lois de son époque, c’est bien encore l’amour du XVIIe siècle, parlant le langage capable d’être compris par les femmes de ce temps-là ; et si le nom du grand séducteur est espagnol, il n’a pu prendre qu’en France et à Paris son costume, ses habitudes, ses créanciers et son valet. Adraste, du Sicilien, c’est le duc de Guise ou le comte de Modène, Guiche ou Lauzun, déployant en pays étranger, aux yeux éblouis d’une grande dame de Naples ou de Palerme, la légèreté spirituelle et la grâce complimenteuse de leur nation ; aussi ravis peut-être de jouer un bon tour à un solennel hidalgo que de faire une conquête difficile et digne de la peine qu’elle coûte. Valère, du Tartufe, c’est, avec un souvenir charmant du Dépit amoureux, l’honnête homme tirant un bon homme des griffes d’un redoutable coquin. Derrière Jupiter d’Amphitryon ne semble-il pas voir Louis XIV lui-même en bonne fortune, jaloux comme un dieu seul peut l’être et levant les scrupules d’une Montespan ? Viennent ensuite Clitandre, de George Dandin, un séducteur encore, mais point trop méchant, pour qui tromper un sot et profiter des rancunes d’une coquette mésalliée sont un plaisir auquel on ne résiste pas ; Eraste, de Monsieur de Pourceaugnac, un Parisien futé, qui se venge avec une impitoyable malice d’un provincial importun ; Cléonte, du Bourgeois gentilhomme, représentant de cette haute bourgeoisie qui fut, autant que la noblesse, l’honneur et la force du siècle de Louis XIV, probe et franc, avec la juste fierté de ce qu’il est, sans l’envie de ce qu’il n’est pas, satisfait du « rang assez passable » qu’il tient dans le monde, devant sa fière et virile attitude à « l’honneur de six ans de service, » mais conservant assez de jeunesse de cœur pour jouer une dernière fois la scène du Dépit amoureux ; le vicomte, de la Comtesse