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France répondit « que le premier consul ne désapprouverait pas que des princes persécutés trouvassent une retraite dans les états prussiens, à condition que le chef des Bourbons renoncerait à un vain titre. » Rassurée par ce langage, la Prusse n’hésita plus. Louis XVIII fut autorisé à résider temporairement à Varsovie, « à ses propres frais. » L’infortuné n’avait pas attendu cette décision pour quitter Memel. Arrivé dans cette ville le 28 janvier, il comptait en partir le 9 février pour chercher un refuge plus confortable et plus sûr. Mais le 8, il était rejoint par cinq de ses gardes du corps et apprenait par eux que, dix-huit heures après son départ de Mitau, ordre avait été donné à tous les Français résidant dans cette ville de sortir de Russie. Ces pauvres gens étaient partis à la débandade, à pied pour la plupart, réduits à solliciter la charité des paysans. Le roi voulut attendre qu’ils fussent tous à Memel avant de poursuivre son voyage. Une fois réunis, il fallut assurer leur sort, les mettre à même d’atteindre les lieux où ils devaient se rendre. Pour leur venir en aide, on engagea les diamans de la duchesse d’Angoulême, sur lesquels un propriétaire du pays consentit à prêter 2,000 ducats. Ces questions réglées, le roi et sa nièce se dirigèrent vers Kœnigsberg, où une lettre de Caraman leur annonça que le séjour de Varsovie leur était accordé. Ils continuèrent leur route. Elle leur réservait une dernière épreuve. En traversant la Vistule, leur carrosse versa. On eut quelque peine à tirer de l’eau la duchesse d’Angoulême. Enfin, le 22 février, un mois après avoir quitté Mitau, ils atteignaient Varsovie. Le gouverneur-général, de Kohler était encore sans instructions. Il accueillit cependant le comte de Lille et la marquise de La Meilleraye avec les égards dus à leurs malheurs. L’ordre officiel qu’il reçut quelques jours plus tard lui enjoignait de les installer dans le palais de Lazienski, construit aux portes de Varsovie par le dernier roi de Pologne.

À ce moment, les vues politiques de Bonaparte se réalisaient; le rapprochement qu’il avait souhaité entre la Russie et la France s’opérait sur la base des satisfactions demandées par Paul Ier ; l’ambassadeur russe, M. de Kalitschef, reçu à la frontière, avec les honneurs royaux, salué par les populations comme un messager de paix, continuait sa marche triomphale vers Paris, où allait le suivre à bref délai la nouvelle de la tragique fin du prince dont il apportait au premier consul l’alliance et l’amitié.


ERNEST DAUDET.