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épaisses et cristallisées les vastes plaines qui s’étendent autour de Mitau. On voyagea jusqu’au soir sans s’arrêter, si ce n’est aux relais. A la nuit, on trouva respectueux accueil et bon gîte chez un gentilhomme du pays. Mais les deux jours suivans, les augustes proscrits n’eurent que de mauvaises auberges pour abri. La quatrième journée fut terrible. Un vent impétueux soulevait la neige en tourbillons, rendait les chemins impraticables aux voitures, alourdies par le poids des voyageurs. Le roi et ses compagnons se virent contraints de faire la route à pied. Cette marche sous la tempête était un supplice, surtout pour le malheureux prince, que paralysait son obésité. Il se traînait péniblement au bras de sa nièce, héroïque de patience et de sérénité. On atteignit enfin Memel. En y arrivant, sans attendre les nouvelles que devait envoyer Caraman, la duchesse d’Angoulême écrivit à la reine de Prusse. Elle lui demandait d’obtenir de son époux qu’il fût permis au roi de France de traverser les états prussiens et d’y séjourner au besoin.

M. de Caraman n’avait pas perdu une minute. Arrivé si rapidement à Berlin, où il entrait le 2 février, qu’il y précédait la nouvelle de l’expulsion de Louis XVIII, ce fut lui qui l’annonça au roi. Par ce qu’on a lu précédemment, il est aisé de deviner quel embarras dut éprouver ce prince, placé entre l’obligation de répondre à un proscrit qui sollicitait un asile dans ses états et les devoirs que lui imposaient son intérêt, ses relations avec la république, le rôle d’intermédiaire qu’il avait accepté entre elle et la Russie. Hypocrite ou sincère, il parut compatir à l’infortune du chef de la maison de Bourbon. Mais, après avoir fait connaître à Caraman qu’il le réintégrait dans son grade, et sans lui révéler les négociations auxquelles son gouvernement était mêlé, il ne lui cacha pas ses perplexités. Il parla, non sans émotion, de ce qu’il aurait voulu pouvoir faire et de la réserve qui lui était commandée. Son embarras n’étonna pas l’envoyé du roi de France. Il savait déjà par d’Haugwiz que Frédéric-Guillaume « ne se souciait guère d’avoir un collègue dans son royaume. » Il sollicita cependant pour son maître le séjour de Varsovie. Le monarque prussien ne voulut pas répondre sur-le-champ; il entendait consulter ses ministres; il ne céda que sur un point et autorisa la famille royale à rester à Memel autant qu’elle le voudrait. Mais cette autorisation ne donnait qu’une demi-satisfaction à Caraman; il ne renonça pas à obtenir mieux.

Les jours suivans se passèrent en vains pourparlers, au cours desquels le roi de Prusse reçut communication de la lettre adressée à sa femme par la duchesse d’Angoulême. Pourtant il résistait encore. Enfin M. d’Haugwiz, ayant fait connaître à Beurnonville l’embarras dans lequel se trouvait son souverain, l’envoyé de