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comte Panin, il ajouta : « Sa Majesté m’a chargé de vous dire qu’elle recevra avec plaisir la lettre du premier consul, qu’elle recevra de même les prisonniers russes restés en France. Elle a désigné le général de Sprengporten pour aller les recevoir. » Les conditions de la paix furent ensuite abordées. Elles étaient, de la part de la Russie, au nombre de quatre : 1° la reddition de l’île de Malte et de ses dépendances à l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem ; 2° le rétablissement du roi de Sardaigne ; 3° la garantie de l’intégrité des états du roi des Deux-Siciles ; 4° la garantie de l’intégrité des états de l’électeur de Bavière. L’examen de ces divers points démontra que l’entente serait facile. Les deux diplomates s’ajournèrent à une date ultérieure pour entamer officiellement les négociations qui devaient aboutir à la conclusion de la paix entre la France et la Russie.

A quelques jours de là, le général de Sprengporten se mettait en route pour aller recevoir, en France, les prisonniers russes. Nommé gouverneur de l’île de Malte, c’est là qu’il devait les conduire. A Bruxelles, le général Clarke lui souhaita la bienvenue au nom du premier consul. Dans la seconde quinzaine de novembre, il était à Paris. Accueilli, dès son arrivée, par Bonaparte, il lui exprima l’admiration de son souverain, dont il révéla en même temps les intentions. Il fit remarquer que, quoique l’empereur n’eût pu se dispenser, pour la sûreté de ses propres états, de prendre part à une querelle dont la source semblait menacer la tranquillité de l’Europe entière, il n’avait pas cependant hésité un moment à retirer ses troupes de la coalition aussitôt qu’il s’était aperçu que les vues des puissances tendaient à des agrandissemens que son désintéressement et sa loyauté ne pouvaient permettre. Il s’estimait heureux, dans ces conditions, d’avoir pu se rapprocher de la France. Et comme la France et la Russie, éloignées l’une de l’autre par une grande distance, ne pourraient jamais se nuire réciproquement, il leur serait aisé, grâce à leur harmonie, d’empêcher les autres de s’agrandir. Le premier consul fut touché de ce langage. « Votre souverain et moi, dit-il, nous sommes appelés-à changer la face du monde[1]. » Sous ces favorables auspices, la mission de M. de Sprengporten ne pouvait que réussir; elle réussit au-delà de ses espérances, et lorsque, comblé des témoignages de la bonne grâce du premier consul,

  1. Déjà, en 1629, Duguay-Cormenin, ambassadeur de Louis XIII à Moscou, disait à Michel Romanof : « Votre Majesté est à la tête des pays orientaux et de la foi orthodoxe; Louis, roi de France, est à la tête des pays méridionaux. Que le tsar contracte avec le roi de France amitié et alliance, il affaiblira d’autant ses ennemis. Il faut que le tsar ne fasse qu’un avec le roi de France. » (Louis XV et Elisabeth de Russie, par Albert Vandal.)