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Louis XVIII avait accueilli en lui disant : « Votre place est auprès du roi, qu’il soit libre ou dans les fers. » Mais sa cour, qu’il jugeait réduite au strict nécessaire, lui semblait aussi indispensable à sa grandeur que la pompeuse étiquette qu’il se plaisait à y maintenir.

C’est après la messe qu’il donnait audience. A la porte de son cabinet, se tenaient, l’épée nue, deux gardes du corps, chevaliers de Saint-Louis. Le gouverneur de Courlande présentait le visiteur au gentilhomme de service, qui l’introduisait auprès du prince. Le roi portait ordinairement un habit bleu à collet rouge. Affable était son accueil. Il s’énonçait bien, parlait avec la même facilité le latin, le français, l’anglais et l’italien. S’il retenait le visiteur à dîner, celui-ci était placé à côté du duc d’Angoulême, assis lui-même près du roi, et « qui ne trouvait rien à dire malgré le désir qu’il paraissait en avoir. » A la droite de la duchesse d’Angoulême s’asseyait le cardinal de Montmorency, très sourd, « n’entendant rien, parlant peu, mais mangeant d’un grand appétit. » Le roi aimait à entretenir ses invités des malheurs de son frère. Il montrait, attendri, « le dernier billet que la reine Marie-Antoinette lui écrivit du Temple et le cachet de France, qu’un hasard avait mis dans ses mains. » Les distractions de la cour de Mitau n’allaient guère au-delà de ces réunions. Dans la journée, une promenade en voiture, quelques visites chez les châtelains des environs ; le soir, le thé chez la duchesse de Guiche : « Les tasses étaient en faïence, la théière en étain. La gêne régnait dans les finances ; mais les grâces embellissaient la détresse. »

Quelquefois, c’était un haut personnage qui passait par Mitau, le grand-duc Constantin, second fils du tsar, le maréchal Souvarof, vieux et malade, des diplomates étrangers, quelque émigré mandé par l’empereur, ou même des espions et des aventuriers qui pénétraient en Russie en trompant la surveillance rigoureuse exercée aux frontières. Certaines de ces visites réveillaient les espoirs du roi, celle de Dumouriez, par exemple. Dumouriez, Pichegru, Willot se jetant en France, y rallumant la guerre civile, tandis que les armées coalisées envahiraient le territoire, c’était, en 1800, le rêve du roi, un rêve auquel le voyage en Russie du vainqueur de Jemmapes parut donner un commencement de réalité, mais qui ne se réalisa pas plus que tant d’autres, où se révélaient les naïves illusions de Louis XVIII et de ses agens. L’espoir d’acheter Barras d’abord, Bonaparte ensuite, fut un de ces rêves sans lendemain. C’est pitié de suivre les vaines négociations qui s’engageaient sur ces chimères. En fait, durant son séjour à Mitau, le roi ne goûta qu’une joie complète et sans déception, l’arrivée de sa nièce, l’orpheline