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pour lui auprès de l’Angleterre, de la Prusse et de l’Autriche. Humble était son langage. Poussé par le besoin, il abdiquait quelque chose de sa dignité, de la fierté de sa race. Les souffrances de l’exil rehaussent rarement le prestige des princes. Ses sollicitations restaient vaines. L’Autriche s’enfermait de plus en plus dans une attitude malveillante, s’obstinait à ne pas répondre. La Prusse alléguait qu’elle avait donné de nombreuses preuves de son dévoûment aux Bourbons. Quant à l’Angleterre, elle rappelait qu’elle servait déjà des pensions au comte d’Artois, à ses fils, aux princes d’Orléans, aux Condés, à une infinité d’autres émigrés, lesquels étaient en si grand nombre que, pour le paiement de ces redevances mensuelles, il avait fallu constituer à Londres des bureaux uniquement chargés d’en assurer le service. « Le hasard m’a fait voir une lettre de Mitau, écrivait, en mai 1800, au ministre des affaires étrangères un agent français. Elle respire le découragement. On y déplore surtout le délabrement des finances royales. Les difficultés pécuniaires sont telles qu’on n’a pu envoyer encore la reine aux eaux de Pyrmont[1]. » Et c’était vrai. La reine, qui était venue rejoindre son mari en 1799, et, bientôt lasse du séjour de Mitau, avait hâte d’en partir, dut attendre, pour se mettre en route, que le tsar eût consenti à faire l’avance au roi d’un quartier de sa pension.

Il n’eût pas été impossible à Louis XVIII de proportionner ses dépenses à ses revenus. Mais il eût fallu pour cela licencier sa maison, dépouiller la dignité royale de ce qui lui restait de ses splendeurs passées, supprimer la charge de grand aumônier, remplie par le cardinal de Montmorency, qu’assistaient trois aumôniers ordinaires<ref> L’abbé Edgeworth de Firmon, qui avait assisté Louis XVI à ses derniers momens, figurait comme confesseur de Louis XVIII parmi ces aumôniers. </<ref>, éloigner le comte de Saint-Priest, premier ministre de cette petite cour, le comte d’Avaray, capitaine des gardes du corps, les ducs d’Aumont, de Fleury, de Duras, de Villequier, gentilshommes de la chambre, le comte des Cars, premier maître d’hôtel, le duc de Guiche, le duc de Piennes, le marquis de Jaucourt, le comte de La Chapelle, qui vivaient dans l’entourage du roi et qu’il employait à des missions de confiance ; il eût fallu supprimer aussi la maison de la reine, celle de la duchesse d’Angoulême, où l’on comptait le duc et la duchesse de Sérent, la comtesse de La Tour d’Auvergne, la comtesse de Choisy, le marquis de Nesle; il eût fallu licencier enfin un trop nombreux personnel de domestiques, qui grevait lourdement le maigre trésor royal, et en tête duquel se trouvait Cléry, le fidèle serviteur de Louis XVI, que

  1. Pyrmont, petite ville allemande, possède des sources ferrugineuses déjà réputées au XVIIe siècle. La plupart des princes allemands y passaient l’été.