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tout simplement à disperser les différens services publics dans toutes les villes d’Italie, — « l’instruction publique dans une ville, les travaux publics dans une autre ville, les arsenaux de l’armée dans une troisième, etc. » — Ce n’était qu’un utopiste ; mais Mazzini avait, avec de la finesse et de la ruse, la foi du fanatique, l’obstination du sectaire, l’activité de l’homme né pour conspirer. Il avait aussi l’art d’imposer son influence, de se créer des séides, de faire croire à son pouvoir, et c’est ainsi qu’il était arrivé à avoir sa diplomatie révolutionnaire, à traiter de puissance à puissance avec les gouvernemens, avec Victor-Emmanuel, qu’il caressait et menaçait tour à tour. Victor-Emmanuel se prêtait à ces négociations avec un homme dont il espérait se servir ; il l’éconduisait le plus souvent sans le décourager, en lui dérobant son armée. Le plus fin n’était pas visiblement le conspirateur.

Ce qu’il y a de caractéristique dans cette diplomatie secrète, c’est la haine invétérée de la France, et ce sentiment éclate surtout dans les relations du conspirateur italien avec M. de Bismarck, qui ne dédaignait pas d’avoir, lui aussi, sa négociation presque régulière au lendemain de 1866, à la veille de 1870. Entre le révolutionnaire italien et le chancelier allemand la haine de la France est le lien. Il y a en vérité une façon de note diplomatique où M. de Bismarck s’efforce de démontrer à son interlocuteur clandestin comment l’Allemagne et l’Italie sont des alliées naturelles, comment la France est la grande ennemie qui veut régner sur le Rhin et sur la Méditerranée, qui a menace à tout moment de s’emparer de Tunis. » Et Mazzini ne demande pas mieux que de se faire le complice du chancelier de Berlin, de fomenter une révolution contre la monarchie de Savoie au cas où l’Italie serait noire alliée contre la Prusse. Si la France avait pu s’y méprendre, elle saurait, par ces documens de politique secrète, à quoi s’en tenir sur les sentimens de ces sectaires. Après cela il ne faut rien exagérer sans doute. Que cet agitateur, qui a passé sa vie à se démener dans l’ombre, ait cru servir son pays à sa manière et qu’il ait eu une sorte de rôle dans les révolutions du temps, cela se peut ; mais il n’aurait été jamais évidemment qu’un conspirateur vulgaire et stérile s’il n’y avait eu pour refaire l’Italie, et Victor-Emmanuel, et Cavour, et ces généraux que dédaignait Mazzini, et cette classe d’Italiens si dignement représentée par le marquis Gino Capponi, dont on a publié une correspondance qui va aujourd’hui jusqu’à sa mort, vers 1863. Ces Lettres, dont les dernières ont récemment vu le jour, sont l’histoire morale d’un généreux patricien florentin, qui a été l’ami, souvent le conseil de tous les hommes qui ont honoré son pays. Celui-là n’a jamais été un conspirateur, il n’a été mêlé à aucune révolution, il n’a pas eu le goût des positions irrégulières et des actions occultes. Il a passé sa vie en patriote éclairé, fidèle au sentiment national et aux idées libé-