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qu’ici aucun intérêt direct et pressant. L’Italie n’en est pas sans doute à nouer les alliances dont on lui attribue bénévolement la pensée et à chercher un rôle qui ne pourrait être qu’onéreux et hasardeux. Que l’Italie s’intéresse, comme la France, comme tout le monde, à cette étrange crise hispano-allemande, qu’elle en suive les péripéties avec attention, avec la légitime préoccupation de ne pas se laisser surprendre par l’imprévu, c’est possible, c’est même vraisemblable ; au-delà, elle n’a pas plus que notre pays à intervenir, et le chef du cabinet du roi Humbert n’est certainement pas homme à devancer les événemens par ses impatiences. Si le vieux Piémontais qui gouverne les affaires italiennes depuis assez longtemps et s’est fait une situation inamovible, si M. Depretis a un mérite, c’est d’être tout le contraire d’un esprit agité, d’avoir compris qu’un pays qui compte à peine vingt-cinq années d’existence nationale a plutôt à se fixer par une politique de bon sens et de prudence qu’à courir les aventures. L’Italie, quoi qu’en pensent les rêveurs perpétuels de grandes combinaisons, en est là aujourd’hui ; elle en est à chercher, à prendre son équilibre de puissance régulière, après avoir eu pendant un demi-siècle ses phases dramatiques et souvent mystérieuses, ses crises, ses épreuves dont l’histoire se complète chaque jour par quelque révélation nouvelle.

Peu de nations ont certes une histoire aussi compliquée, et ce qui se passe, ce qui se fait à la pleine lumière, dans un pays comme l’Italie, n’est pas toujours ce qu’il y a de plus curieux. À côté des événemens qui s’accomplissent au grand jour, il y a toute une partie secrète qui ne se dévoile que par degrés, avec le temps ; à côté des personnages publics qui ont la main à l’œuvre, politiques, soldats, princes ou diplomates, il y a les personnages occultes qui restent dans l’ombre. Il y a les hommes qui se font du mystère une puissance, et un des plus singuliers épisodes de cette partie secrète des révolutions italiennes est assurément celui que M. Auguste Boullier remet au jour en racontant dans un petit livre, — un Roi et un Conspirateur, — les négociations de Mazzini avec Victor-Emmanuel, les relations du révolutionnaire d’Italie avec M. de Bismarck. Il y a eu de notre temps, en Europe, quelques-uns de ces hommes qui, sans avoir jamais rien été, ont su se créer dans l’exil, où ils ont presque toujours vécu, une puissance mystérieuse, une sorte de gouvernement invisible. Ils ont passé leur vie à conspirer, à nouer des combinaisons, à préparer des insurrections, à discipliner les forces révolutionnaires dont ils se faisaient une armée, et même à traiter avec des cabinets qui les ont quelquefois écoutés. Mazzini a été un de ces hommes, peut-être le premier. Ce n’est pas qu’il fût un politique supérieur : c’était un mélange d’illuminé et de conspirateur. Toute sa politique se réduisait à un rêve de république de secte, et le système de gouvernement républicain qu’il a exposé un jour dans le secret de ses correspondances consistait