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évêques, a cru devoir rappeler au clergé la nécessité de la réserve, et il a chargé aussi les préfets de rappeler aux instituteurs qu’ils n’étaient pas des agens électoraux. Bref, les drapeaux sont levés, les partis de toutes couleurs sont aux prises, et le gouvernement promet la liberté pour les opinions, l’impartialité entre les combattans. Le 4 octobre, tout sera décidé et, jusqu’ici, il faut l’avouer, le pays, qui est le souverain juge, attend cette date, laisse passer manifestes et discours, suit cette bataille électorale sans s’émouvoir, sans paraître sortir de son calme.

Qu’en sera-t-il en définitive de ce scrutin du 4 octobre ? La question est d’autant plus sérieuse que les élections prochaines vont se faire dans des conditions particulièrement difficiles, qu’il ne s’agit pas seulement de l’application d’un nouveau système de vote, qu’il s’agit du procès de toute une politique, de toute une situation, que les partis régnans ne peuvent se défendre de la responsabilité d’une crise dont tout le monde a le sentiment. La question qui va s’agiter dans ces élections, autour de ces scrutins du 4 octobre, est réellement celle-ci : Veut-on la continuation ou même l’aggravation d’une politique qu’on peut juger maintenant à ses œuvres, qui depuis quelques années n’a fait sentir son règne que par le malaise moral répandu dans le pays, par l’ébranlement des institutions militaires, par les expéditions aventureuses, par l’abus des ressources publiques et les déficits dans les finances ? Veut-on au contraire faire rentrer dans le gouvernement la raison prévoyante, l’équité libérale, la modération des conseils, l’esprit d’ordre et d’économie ? Rien n’est plus aisé ou plus commode sans doute que d’échapper à cette alternative par des déclamations qui ne prouvent rien, de se prévaloir d’une paix intérieure qui n’est due qu’à la raison publique, de triompher en montrant sans cesse les divisions au camp des conservateurs. Au fond, ceux qui parlent ainsi sentent bien qu’il y a dans la grande masse nationale d’indéfinissables et inquiétans malaises, que si le pays ne voit pas clairement son chemin devant lui, s’il ne sait pas toujours pour qui voter, il commence du moins à se fatiguer singulièrement d’une politique qui lui a tout promis et ne lui a rien donné. Ils sentent que cette fatigue publique devenue évidente est le signe d’une situation nouvelle, qu’il y a là un danger pour eux : aussi s’efforcent-ils de rassurer l’opinion, de ne pas trop effaroucher la province. Ils mettent tout leur art à détourner l’attention du pays, à pallier leurs erreurs et leurs fautes par des confusions calculées, et une des plus singulières preuves de cette tactique, en usage depuis quelque temps dans certaines régions républicaines, c’est le soin qu’on met maintenant à se rattacher à M. Thiers, à se couvrir de son nom, de son autorité, de ce qu’il a fait pour la république ; C’est assez nouveau au camp des vainqueurs de ces dernières années, et c’est peut-être significatif.