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principalement le matin et le soir. En été, quand la nuit tombe, la moitié de la population se presse sur l’esplanade, pendant que l’autre prend le frais sur les terrasses. Chaque maison a la sienne, disposée en échiquier pour la plus grande commodité des locataires ; autant de carrés que d’appartemens. Si le diable boiteux avait emporté son jeune ami l’étudiant à Barcelone, il n’eût pas eu besoin d’enlever la toiture des maisons pour regarder dans l’intérieur. La soirée se prolonge jusqu’à deux ou trois heures après minuit, l’usage étant de souper en sortant du théâtre. Les gens du Midi, hormis les heures de la sieste, vivent le plus souvent hors de chez eux, dans les rues et sur les places publiques. Ils parlent très haut, gesticulent beaucoup, s’animent volontiers. Avec un peu de curiosité indiscrète, rien ne serait plus facile que de suivre ces conversations en plein air, où s’apprend la vraie langue du pays. Celle qu’on parle à Barcelone n’est point de premier choix. La prononciation, le vocabulaire et la syntaxe révèlent à l’observateur la ville cosmopolite où se rencontrent toutes les races du Midi. Le regrettable professeur Milá y Fontanals, qui était un puriste, a fait une étude spéciale sur le parler de Barcelone.

Parmi les causes diverses qui ont corrompu le dialecte catalan dans la capitale même de la Catalogne, il importe de signaler comme une des plus efficaces l’influence permanente de la colonie française, très nombreuse, très active, très répandue, en contact avec toutes les classes de la société, et formant une partie considérable de la population. Les Français, en général, n’ont pas reçu le don des langues ; hors de chez eux, ils enseignent plus volontiers qu’ils n’apprennent. La plupart de ceux qui habitent Barcelone en usent assez librement avec l’espagnol et le catalan, continuant, sans penser à mal, l’œuvre malfaisante des traducteurs à la douzaine, ces corrupteurs du goût et de la langue. À ce point de vue, la province de Barcelone est inférieure aux deux provinces voisines de Girone et de Tarragone, dont les capitales ne sont pas envahies par l’élément cosmopolite. A vrai dire, le catalan que parlent les populations du littoral est beaucoup plus mêlé que l’idiome en usage dans l’intérieur des terres, et particulièrement dans la région des montagnes, celle qui a le mieux conservé les vieilles coutumes et les anciennes traditions. S’il était au pouvoir d’une académie de régénérer la langue d’un peuple vieilli, les académiciens devraient se résigner à vivre parmi les montagnards pour apprendre d’eux le vocabulaire et la grammaire. Ce n’est point à Barcelone, où elle s’est déplorablement altérée, corrompue par le commerce incessant de tant d’étrangers de toute provenance, que la langue catalane, refaite, renouvelée, disciplinée par des auteurs et des grammairiens de profession, reprendra force et vigueur et retrouvera