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soit la cause ou l’une des causes aussi de ce que j’appellerai la systématisation légale de la terreur ? On dirait vraiment à le lire, que l’Europe est demeurée spectatrice impassible ou indifférente du drame révolutionnaire, et que les hommes de la révolution, uniquement occupés de leur idéal politique, en ont mené l’expérience à loisir : Cependant, quelque opinion que l’on se fasse de l’attitude des puissances en présence de la révolution française, et quand bien même on croirait, avec certains historiens, que l’Europe, jusqu’aux environs de 1795, distraite par d’autres soins, n’aurait donné qu’une attention médiocre aux affaires de France, il n’en serait pas moins vrai que, dès le début de la guerre, c’est-à-dire dès les premiers mois de 1792, la révolution s’est sentie menacée dans son principe et la France dans son existence même.

Là-dessus, ce grand homme de province, le Genevois Mallet du Pan, — que nous dispenserions si volontiers de s’être mêlé de nos affaires, — et bien d’autres depuis, ont pu se moquer plus ou moins agréablement des déclamations contre Pitt et Cobourg dont retentissait la tribune de la Convention. Mais, en vérité, M. Taine lui-même estime-t-il que Pitt et Cobourg fussent des partisans si déclarés ou des amis si chauds de la France et de la révolution ? Leur main, celle de leurs agens, était-elle donc absente, et innocente, des intrigues dont nos orateurs les accusaient si véhémentement ? Et les jacobins enfin étaient-ils si ridicules quand ils voyaient une « conspiration » dans cette coalition de l’Europe entière contre eux et contre nous ? La nature même de leurs déclamations eût dû avertir ici leur historien. Disons-le comme nous le pensons, c’est-à-dire tout naïvement ; tout jacobins qu’ils étaient, ils ne voyaient pas si mal quand ils accusaient la coalition de la dépréciation même de leurs assignats, puisque enfin ses ministres en faisaient fabriquer de faux. Et s’ils se trompaient, quand ils donnaient à leurs accusations la forme et le corps étrange qu’ils leur donnaient, ils ne se trompaient sans doute pas quand ils voyaient un rapport étroit entre leurs maux intérieurs et les nécessités de la guerre étrangère. Ajoutons maintenant que lorsqu’on lutte pour l’existence, et quand il s’agit littéralement d’être ou de ne pas être, la lutte ne saurait avoir les mêmes caractères que lorsqu’elle s’engage pour l’acquisition d’une province ou quand elle se poursuit au nom de l’hégémonie politique. Lorsqu’un peuple, — par sa faute, celle de ses gouvernails ou le hasard des circonstances, il n’importe, — se voit une fois comme isolé du reste du monde, et, par toutes ses frontières, refoulé sur lui-même, il n’est pas étonnant, il est même assez humain qu’il se porte aux dernières extrémités de la colère ou qu’il retourne sa rage et son désespoir