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l’ornement, pour ainsi dire, et le décor classique de la révolution, M. Taine a montré qu’il y avait bien autre chose, et au fond l’intention plus ou moins délibérée, mais réelle, de ramener la France aux institutions politiques de Rome et de Lacédémone. Les jacobins ont réussi pour avoir incarné l’esprit de la révolution ; et la révolution a échoué pour avoir voulu imposer à une société moderne les formes étroites qui ne pouvaient convenir qu’aux petites communautés antiques. Il convient d’insister ici sur cette idée, qui est originale, qui est juste, qui est féconde.

Dans un livre curieux, qu’il faut lire en même temps que celui de M. Taine, un économiste distingué, M. G. de Molinari, ne craignait pas, tout récemment, de s’expliquer en ces termes : « En supposant que la révolution française eût fait le tour du monde, le résultat eût été une rétrogression universelle, et peut-être, malgré les progrès de l’industrie, une immobilisation chinoise, sinon un retour à la barbarie. » C’était assurément beaucoup dire, et, en admettant que l’expression de l’écrivain ne dépassât point sa pensée, nous avons quelque peine à l’en croire. Il est plus près de la vérité quand il croit pouvoir avancer, d’une part, que « la révolution a diminué la somme des libertés dont jouissaient les Français en même temps qu’elle a doublé le poids du gouvernement de la France, » et, d’autre part, quand il en voit la cause dans ce fait que le jacobinisme u s’est proposé d’adapter à une nation moderne, au début de l’évolution de la grande industrie, les institutions des petites communautés du premier âge de l’humanité. » C’est ici l’influence trop oubliée du Discours sur l’origine de l’inégalité sur les principes de la révolution française. M. Taine est remonté moins haut, et s’est contenté de nous montrer en action les conséquences du Contrat social, dont les deux principales sont : la confusion du bien public avec l’aliénation totale du citoyen à la communauté ; et cette autre confusion, moins grave en apparence, mais non pas moins détestable au fond, du devoir civique avec la vertu même, c’est-à-dire de la politique avec la morale » Qui ne reconnaît là l’idéal même des cités antiques et des civilisations commençantes ?

Lisez maintenant les discours de Robespierre et de Saint-Just sur le Gouvernement révolutionnaire ou sur le Rapport des idées morales et religieuses avec les principes républicains. Cette absorption ou, mieux encore, cet anéantissement de l’individu dans l’état, et cette unification de tous à l’image d’un type défini, voilà bien, eux aussi, leur idéal social, et voilà bien, par la menacé, par la spoliation, par la guillotine, ce qu’ils travaillent à réaliser. « Nous ferons plutôt un cimetière de la France, disent-ils, que de ne pas la régénérer à notre manière, » et ils sont sincères, et à peine se