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figurent dans le premier volume plutôt que dans le second, plutôt que dans le troisième, ou réciproquement. Mais j’y vois trop bien, au contraire, ces deux marques certaines d’une composition imparfaite : répétitions et contradictions.

Considérez, par exemple, le premier livre du premier volume, celui que M. Taine a intitulé : l’Anarchie spontanée. Manifestement hésitant sur le point de savoir s’il écrit lui-même une « Histoire » ou une « Philosophie » de la révolution, M. Taine s’efforce d’y faire marcher du même pas le récit des événemens et la réduction des effets à leurs causes. Mais les événemens, vus dans ce détail, ont entre eux trop de ressemblance, et les causes qu’y assigne l’historien ont entre elles trop d’analogie. Il en résulte une accumulation de textes, une abondance de citations qui rompent la continuité du récit en lassant la patience du lecteur, et d’autant qu’en vain essaie-t-on de l’y voir, on n’y peut discerner aucune gradation des effets ou aucun progrès de la démonstration. Si, cependant, vous cherchez à quoi tend tout ce formidable appareil, il s’agit d’établir que, « si mauvais que soit un gouvernement, il y a quelque chose de pire, qui est la suppression du gouvernement. » Nous en croyons volontiers M. Taine, et nous lui en voulons de nous l’avoir si longuement démontré. Prenons un autre exemple. C’est dans le troisième volume de sa Révolution que M. Taine nous trace le Programme jacobin, en lui donnant une consistance et surtout une précision qu’il n’a certainement jamais eue. Je prie maintenant le lecteur de vouloir bien se reporter au deuxième volume pour y relire le chapitre que M. Taine a intitulé : Physiologie du jacobin. Est-ce la conclusion du second que nous avons cousue aux prémisses du premier ou la conclusion du premier aux prémisses du second ? Mais c’était cependant toujours le même chapitre. Je crains que la raison n’en soit pas difficile à dire. Si M. Taine, comme nous l’allons voir, avait écrit son premier volume sans bien savoir comment conclurait le second ; au contraire, il a pris ses notes en même temps pour le second et pour le troisième ; ou encore, et plus exactement, ayant commencé d’amasser des matériaux pour un second volume, il en a tant trouvé qu’il n’a pu les y faire tenir, et il a écrit le troisième pour les utiliser.

Après les répétitions, je serais trop long si je voulais insister sur les contradictions, mais il faut bien dire quelques mots de celles qui trahissent une erreur de méthode où un vice décomposition. Ne paraîtra-t-il pas évident, par exemple, que si M. Taine, avant d’écrire son Ancien Régime, eût eu quelque idée plus précise du gouvernement révolutionnaire, il nous eût peint sans doute l’ancien régime sous les mêmes traits, mais il eût modéré la furie de sa brosse ?